jeudi 30 avril 2009

Louis-Ferdinand Céline et la mer



Lire Céline c’est aussi exister avec la mer à proximité, sentir sa puissance entre les mots, son mystère éternel; c’est écouter sa musique dans le mouvement perpétuel des marées et le cycle de la lune. Mystique, l’écriture de Céline se confond avec la mer, en mouvance constance, gracieuse dans sa fureur et tendre dans son délire. La plume de l’écrivain est l’ombre d’un oiseau survolant la nuit, bravant la tempête en épousant la crête des vagues.

La mer est omniprésente dans son œuvre et tout au long de sa vie, son enfance, la pension en Grande-Bretagne et après la guerre, les colonies puis ses missions au compte de la SDN, les Amériques, les grandes traversées et après dans ses romans, Voyage, Mort à crédit, Guignol’s band partout l’odeur de la mer est présente; dans Féerie le feu du ciel ressemble à une tempête en mer et la trilogie, la longue quête du Danemark, le Nord et la mer…

Dès le début de la guerre en 39, il s’engage comme médecin sur un bateau. À Sigmaringen, Laval lui aurait promis le poste de gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon. Au Danemark, à Korsør, il se plaint de la mer trop poisseuse et pour son retour d’exil, il pense un moment à s’installer en Bretagne, la mer toujours. Une compagne dont il ne peut ignorer l’influence.

Il aime, mais pas de manière inconditionnelle, n’importe laquelle, il doit la ressentir, la vivre. Céline déteste celle qui emprisonne et étouffe, la Baltique qu’il voit stagnante et morte, marécageuse. Il préfère celle qui libère, tourbillonne et s’éclate sur les récifs en neige d’écume; la mer comme demeure des Dieux à l’assaut des falaises, colonnes et colosses des légendes. Il veut les mille mers de Bretagne, celle de Saint-Malo où, pendant l’occupation, il de brave les zones interdites pour s’en approcher.

Il écrit une bonne partie de Bagatelle… sur ses rives, dans une chambre près d’elle, pendant que Lucette fait ses exercices sur la plage. Il imagine même Paris s’étendre jusqu’à la mer, une capitale qui n’y a pas accès n’a pas d’âme. La mer est en lui, discrète, mais le recouvre dans sa totalité.

Plus encore, les navires, leurs ports, le va-et-vient des bateaux qui surgissent de nulle part, déversent marchandises et humains et d’autres qui s’embarquent en partance dans des entrecroisements de mondes infinis. Microcosmes et dérives sur des coquilles de bois ou d’acier portées par de mystérieux courants vers des pays fabuleux où l’arrogance des hommes est peut-être moins lourde et où la lumière offre des possibilités de renaissance.

Multiple, élégante, furieuse et secrète, Céline est enfant de cette mer insoumise et païenne. Il sait que là-bas, au nord du Nord, sur une île protégée par un brouillard perpétuel, se sont réfugiées les anciennes divinités, déesses de la fertilité et mères nourricières rejetées par des humains hautains, leur préférant un Dieu unique plus facile à contrôler et à utiliser.

Pour Céline, la mer est source de vie, d’inspiration et de renouveau; s’il existe un espoir, il viendra de la mer. S’il existe une lumière elle ne provient pas de la nuée, mais de cette masse liquide originelle, ce « Noun » Égyptien, mixture d’où a émergé le démiurge qui a engendré toutes les origines, d’avant même l’apparition des Dieux.

Sur sa tombe, des galets en hommage et un trois-mâts gravé dans la pierre. Toutes voiles dehors, le navire, surgi d’une mer à l’intérieure de la terre, vogue sur les flots et suit sa propre route, quelque part au-delà du monde, au bout de la nuit.

Pierre Lalanne

lundi 27 avril 2009

Le testament de Céline

Le testament de Céline.

Paul Yonnet, éditions de Fallois, Paris 2009


Malaise à la lecture de ce livre, méfiance instinctive envers cet auteur qui, du haut de ses connaissances littéraires, décrète, comme ça, qu’après le « Voyage au bout de la nuit » Céline avait déjà tout dit, plus rien à déclarer, qu’il aurait valu mieux, pour lui et pour nous tous, de se taire…Pire! Céline est l’écrivain d’un seul livre… Que même avec « Mort à crédit », on sent déjà Ferdinand épuisé, à bout d’idées, plus de jus dans le stylo…


Je veux bien que « Guignol’s band » et « Féerie pour une autre fois » soient des livres difficiles d’accès, que certains diront illisibles. Il n’en demeure pas moins qu’avec un minimum de volonté l’on y découvre un foisonnement et une richesse incomparable d’images éclatées, de descriptions grandioses où chaque phrase est un détonateur provoquant des explosions à la chaîne. Par ailleurs, on ne niera pas à Joyce le génie de son « Ulysse » sous prétexte qu’il est soi-disant illisible.


Quant à la trilogie allemande, il s’agit assurément de la meilleure fresque sur une Allemagne en phase terminale, la destruction d’un pays, la folie absolue de la guerre et un prélude à la fin d’un monde. L’auteur du Testament… reste à peu près muet, quelques lignes ici et là, comme s’il s’agissait, effectivement, d’une période de la vie de Céline que l’auteur préfère ignorer et passer outre. Céline aurait dû disparaître après la publication du Voyage, juste avant le Goncourt, qu’il aurait nécessairement gagné à titre posthume, sans parler du Nobel puisque les pamphlets n’auraient jamais existé. C’est vouloir gommer la moitié de sa vie pour cause de dépit amoureux.


Les pages consacrées au « Voyage au bout de la nuit » sont émouvantes, Yonnet se confie, décris avec émotion ses impressions de jeunesse, le choc de sa première lecture, le refus de le relire et ses conséquences sur la suite de sa vie. Plus loin, les liens qu’il tisse entre Zola et Céline sont très justes. L’incompréhension de ce dernier envers le naturaliste s’explique par l’affaire Dreyfus et l’implication totale de Zola à le défendre. À cause de cette défense, l’œuvre de Zola fut reléguée au second plan et ignorée. En le dénonçant, Céline renie un de ses maîtres le plus importants. Aujourd’hui encore, on lui préfère Hugo, Balzac et même… oh! Horreur, Dumas!


En quelque sorte, Zola et Louis-Ferdinand Céline sont des frères ennemis, les victimes d’une conspiration des bien-pensants, mais pour des raisons complètement opposées : pro Dreyfus d’un côté et anti de l’autre. Par contre, cela n’explique pas tout, il est un peu gros d’attribuer uniquement aux retombées de l’affaire Dreyfus, les livres d’un futur Céline influencés par les débordements familiaux.


La comparaison entre Rousseau, abandonnant volontairement ses cinq enfants à l’orphelinat et les condamnant à une mort quasi certaine et l’antisémitisme de Céline, constitue un exemple fort du livre qui illustre magnifiquement l’injustice qui le frappe. Rousseau, ce pathétique grand penseur de l’humanisme des Lumières, à qui l’on pardonne facilement l’acte contre nature envers ses enfants, un geste de violence difficilement justifiable pour un donneur de leçons. Pourtant, personne ne critique sa niche au Panthéon faisant sa place auprès de Voltaire…un antisémite d’ailleurs, ce Grand Voltaire.


À quand Céline au Panthéon?… Même pas inscrit sur une plaque, son nom donné à un parc, une maison où il a vécu; le nom d’une rue ou d’une impasse. Rien! Une ombre au-dessus de Paris.


Enfin, malgré l’admiration de Yonnet pour le « Voyage au bout de la nuit »; admiration renouvelée après une seconde lecture des années après la première, arrivent le temps du détachement et la nécessité de l’abandon. Le moment de rompre ses liens entre le chef-d'œuvre absolu et son auteur qu’il n’arrive plus à suivre, tellement il est lourd de conséquences. Problème d’identité et désir de fuite, d’un nouveau départ devant une relation devenue indésirable et besoin de justifier l’aboutissement de son cheminement personnel, la fin du livre… la fin de sa vie.


En fait, dans son dernier refuge, exil intérieur en Normandie, l’auteur est aussi seul et isolé que Céline à Meudon. Il transpire, culpabilise de trop de ressemblance et désire se racheter avant de mourir. Il prend définitivement ses distances. Il brise le dernier lien en qualifiant Céline d’écrivain du malheur et que lui, dorénavant, mise uniquement sur le bonheur des derniers jours. Il renforce l’opposition en insistant sur son amour récent pour la campagne… « ces chemins qui n’aboutissent nulle part », comme s’il désirait obtenir un clin d’œil de l’ogre dans la justification de ses choix. .


Le « Testament de Céline » est un livre élégant, mais un livre de rupture entre un homme et son passé, le renoncement définitif de la jeunesse et le passage obligé vers la mort. C’est l’autopsie d’un amour impossible qui, malheureusement, ne sera jamais assumé jusqu’au bout de sa nuit.


Pierre Lalanne

dimanche 26 avril 2009

La trahison de Louis-Ferdinand Céline.


Au nom de la raison et de la victoire de la science sur les forces de l’obscurantisme; au nom du « Siècle des lumières », les massacres se poursuivent en épousant les courbes rassurantes de la croissance. Au nom d’une conception réductrice du concept de liberté, la démocratie suit un parcours parallèle en achevant de construire la dictature du nivellement.

Par la globalisation des idéologies, l’opinion s’articule tout doucement autour d’une pensée unique; les mots, les cris, la révolte, l’indignation, la colère et le refus sont devenus des marques d’inadaptation sociale, voire, comme au temps des Soviets, de maladie mentale. Cela nous est joliment présenté comme un dysfonctionnement héréditaire du comportement humain. Cette tare doit être soignée et confiée à la psychologie universelle, dont l’objectif ultime est le contrôle de cette nature humaine, si imparfaite. Cette science vise à orienter les comportements humains vers une acceptation des conditions d’existences, soit le marché. En résumé, l’expression d’une rébellion est le résultat de l’incapacité de la pensée à s’adapter aux règles de fonctionnement démocratiquement établies et acceptées par une hypothétique majorité.

Les règles, la coercition et l’acharnement systématique des institutions à rendre l’homme semblable à une machine sociale efficace, offrent l’illusion d’une union sacrée entre les différents groupes sociaux, dont l’objectif est une sorte de bonheur commun axé sur la production et ses récompenses illusoires, la consommation.

L’organisation du mensonge justifiant cette idéologie en constitue le ciment. Le mensonge institutionnalisé et adapté à la défense des intérêts de la « société » est le garant de nos valeurs démocratiques et de notre cohésion en tant que groupe; que ce soit pour justifier l’intervention d’un État sur un autre afin de protéger les peuples ignorants les droits de l’homme, en passant par des licenciements massifs au nom du salut de l’économie ou la destruction de la planète au nom du profit du développement, notre monde a été construit sur cette prémisse toute simple : le mensonge.

Ainsi, dans notre imaginaire collectif, les mensonges liés à la nécessité de la consommation ont remplacé ceux du salut de l’âme, de la religion ou même de la patrie. L’énormité du mensonge qui a justifié l’invasion et l’occupation de l’Irak par les troupes humanitaires américaines constitue l’exemple le plus frappant.

À 20 ans, L.F Céline a été confronté au grand mensonge de son temps, 1914. À partir de là, il prend conscience de l’absurdité de la guerre et de l’importance du mensonge dans sa justification. Il comprend que le mensonge est le moteur par excellence du fonctionnement des institutions et, dans ce cas, la justification de l’envoi de millions d’hommes à la boucherie nationale.

Dans son livre, « Le testament de Céline » aux éditions de Fallois, Paul Yonnet souligne qu’on ne peut reprocher à un homme, qui a eu 20 ans en 1914, de manifester pour le reste de sa vie, un pacifisme absolu. Le jugement apparaît insuffisant, il ne fait qu’effleurer la réalité : on ne peut, également, reprocher à un tel homme une haine profonde envers les institutions et leurs représentants, qui lui ont menti effrontément. Aux responsables de l’hécatombe et à leurs complices (églises, médias, intellectuels, etc.) les statues, les honneurs et les postes, quant aux victimes, des rangées de petites croix blanches.

Si « Voyage au bout de la nuit » demeure un chef-d'œuvre littéraire aussi bouleversant, c’est qu’il est à la fois un cri et un acte de rébellion contre le mensonge. D’ailleurs, toute l’œuvre de Céline est un gigantesque miroir reflétant l’homme et l’organisation de ses mensonges. Céline les décortique et les met à nu dans une extase fabuleuse et mystique. Par la puissance de son écriture, il peint des images et des situations d’existences au-delà de l’imaginable. Le Bien s’élabore autour du mensonge et nous habite tous et il est impossible de le contrecarrer.

À cet égard, Céline est resté toute sa vie un être profondément « anarchiste » et solitaire, il ne s’est jamais lié à aucun modèle existant ou idéologie dominante. Les anarchistes ne peuvent supporter le mensonge et pensent qu’en détruisant les institutions, ils rendront à l’homme sa « virginité ». C’est noble, mais est-ce suffisant?

C’est alors, dans un délire de mots et d’imprécations, Céline s’est efforcé à identifier une sorte de responsable unique, un dénominateur commun au mensonge généralisé. Il n’a réussi qu’à chercher qu’à créer une vérité sur un nouveau mensonge et s’est rapidement aperçu que, même en anéantissant la démocratie, le communisme, le fascisme, comme on a détruit la monarchie et le pouvoir absolu de l’église, la lourdeur de l’homme restera ce qu’elle est et le mensonge, la justification du bien sur le mal.

Avec son échec, Céline est rapidement devenu paria, exilé, censuré, accusé de trahison et menacé d’exécution. Fusillé! Depuis la publication du « Voyage », que les élites cherchaient prétexte à l’abattre. Avec la fin de la guerre et la « libération », l’occasion est magnifique et les vainqueurs impitoyables dans leur vengeance. Jusqu’à vouloir effacer son génie de l’Histoire et de la littérature. Pourtant, les pamphlets sont tellement accessoires dans cette chasse au renégat, le subterfuge idéal pour se débarrasser définitivement du gênant. Pourtant, le génocide n’est que l’aboutissement prévisible de deux mille ans d’histoires et de pouvoir du catholicisme et de ses persécutions envers les ennemis du nouveau Dieu.

Ce qui est impardonnable, et là est son acte de trahison, c’est que la société ne peut accepter qu’on la mette ainsi à nue en l’attaquant ses fondements. Le mensonge, c’est la vérité tout comme, dans Orwell, « la liberté, c’est l’esclavage »

À l’unanimité, Louis-Ferdinand Céline fut déclaré coupable de trahison, spirituellement maudit et, son esprit, condamné à l’obscurité. Depuis, il porte sur ses épaules la lourde responsabilité du prophète qui erre telle une ombre au-dessus de nos certitudes.

Pierre Lalanne

mardi 21 avril 2009

Vivre mille ans

Je voudrais vivre mille ans, qu’il disait, Céline.


Vivre mille ans pour le plaisir de voir crever l’humanité. Provocateur, c'est un cri de révolte qu’il lançait aux enragés pour les calmer, un os à ronger en attendant pire. Personne n’entendait le cri de désespoir, sa conviction d’être parvenu à un point de non-retour, le véritable bout de son voyage?


Pourtant, depuis longtemps déjà, Céline n’est plus qu’une ombre confinée d’une prison à l’autre, jusqu’à Meudon, son cachot, son exil intérieur. Rejeté, condamné, méprisé, il est devenu une ombre en juin 1944, où il doit affronter l’humanisme triomphateur des libérateurs avides de sang et de vengeances. Il doit s’enfuir! Peut-on lui reprocher de vouloir sauver sa peau, sachant qu’il paierait au centuple pour tous les autres, les véritables profiteurs? Céline est alors pris dans la débâcle et la tourmente et ne s’en sortira pas, même près de 50 ans après sa mort, sa réputation demeure inchangée : un paria!


Il est tout de même fascinant de constater avec quelle facilité « l’homme de bien », ces représentants de la liberté, les vainqueurs de l’hydre peuvent se transformer, à leur tour, en des bêtes semblables à celles qu’ils ont combattues au nom de l’avenir de la civilisation. Toujours cette incapacité du vainqueur à la magnanimité, incapable de transformer le Mal en Bien, mais si habile à se métamorphoser en un bourreau pareil aux autres. En fait, cela reflète seulement la nature du pouvoir et ceux qui l’incarnent.


Malgré les apparences, l’énigme célinienne est simple, de tout temps, il a toujours refusé de se ranger dans un camp ou dans l’autre. Il observe, constate, affronte, dénature, gonfle et provoque. Il refuse de se mettre au service du Mal ou du Bien et encore moins de leurs innombrables porte-paroles gavés de belles certitudes. Céline désire s’élever au-dessus du marécage et devenir juge, un prophète pour l’humanité souffrante.


Comme tous les prophètes, Céline devient rapidement seul sur sa montagne, une ombre errante au-dessus des siens. Finalement, il aurait préféré se limiter à la médecine tout en étant incapable de s’en contenter, mais Céline est davantage un sorcier de l’esprit plutôt qu’un guérisseur de maux. Alors, à ses yeux, chargé d’une mission mystique, il se transforme en un génie implacable qui décortique le Mal caché dans le Bien et le Bien dans le Mal. Illuminé, comme tous les prophètes, Céline, dans son délire, voit l’humain tel qu’il le trouve, sa véritable nature, une sorte de bête primitive, hargneuse et méchante qui, au nom de n’importe quoi, est prête à anéantir ses semblables ou les asservir à son idéologie.


Devin, trop conscient de la folie des hommes, Céline s’enfonce dans sa solitude et se terre derrière son ombre, Il refuse les systèmes et encore moins à ceux qui les érigent en dogme. Communisme, capitalisme, république, monarchisme, parlementarisme… c’est du pareil au même, le même but, dominer et s’enrichir aux dépens du troupeau. L’échec est donc complet, personne ne l’écoute et ne comprend son cri, ses avertissements. Il est seul, une ombre repliée sur elle-même. Seule, la littérature parvient à le maintenir hors de l’eau et encore, c’est tout juste.


Sachant qu’il ne pourra jamais soulager la misère humaine, il a plutôt choisi de la visualiser dans son expression la plus ignoble. Tellement réelle, qu’elle fait ombrage à la société, une tache originelle qu’aucun baptême ne peut effacer. Céline possède totalement son époque, la transcende et nous rejoint jusque dans la nôtre. Nous hante, il les traverse toutes, une ombre inquiétante et dérangeante, un avertissement qu’il nous envoie au-delà de la mort.

Tel est le destin des prophètes.


Pierre Lalanne

dimanche 19 avril 2009

En guise d’introduction…


En premier lieu, j’ai pensé à « L’esprit de Louis-Ferdinand Céline » ou bien : « La présence de Louis-Ferdinand Céline » ou encore : « La magie de Louis-Ferdinand Céline »… L’hésitation envers un titre pour mon blogue démontre déjà les difficultés à venir, l’affrontement et la solitude imposée par l’ampleur d’un personnage sans pitié, son ambigüité magnifique, la lumière éclatante de son génie et, pourquoi pas, sa nature mythologique.


Nul ne peut échapper à l'ombre de Céline, elle transgresse l’effacement de l’homme, son bannissement éternel pour, de cette manière, dépasser l’oubli et l’indifférence. La nuit, je sais que l’ombre quitte son tombeau pour errer au-dessus de Meudon, survole le jardin où repose Bébert, s’arrête un moment devant la chambre de Lucette qu’elle protège jalousement depuis ce soir de juillet. Puis, elle traverse la Seine et monte sur Paris, enfile les rues au hasard, survole le passage Choiseul et jusqu’à Montmartre, rue Lepic, Girardon, et toujours plus avant, Courbevoie, la banlieue… l’ombre tourne et s’attarde aux souvenirs, à la souffrance des malades, aux éternelles injustices.


Lorsque le vent est favorable, elle survole les Pays de France et pousse jusqu’en Bretagne, Saint-Malo, ses remparts, la plage et, bien au-delà des récifs, la liberté, la seule et l’unique, sa Furieuse, la mer avec ses secrets, épaves au fil de l’eau, paroles de marins perdus en mer, sirènes en pleurs et Déesses aux jambes de danseuses. Là, enfin, Céline connaît un peu de bonheur, oublie la triste lourdeur des hommes et, lorsque revient le jour, la promiscuité de son sépulcre.


Lorsqu’elle s’attarde aux humains, l’ombre de Céline est si dense, que l’espoir n’a pas sa place, mais, à le lire, son écriture reste gracieuse, discrète et volage. Sous sa plume, les mots virevoltent, se gonflent et tourbillonnent au moindre souffle des guerres à venir, des haines ancestrales et des misères perpétuelles.


Impitoyable, rapace et sombre, l’ombre continue à survoler le temps et provoquer les hommes et leur l’Histoire. En guise d’avertissement, l’ombre s’acharne à frôler nos têtes et nous rappeler que tout a déjà été dit, que les humains ne cessent d’apprendre à se répéter que demain, l’avenir sera radieux. Pourtant, nous savons que rien ne change vraiment sinon, au gré des investissements, la puissance du blindé et l’épaisseur de son blindage.


Alors, j’ai l’illusion de la liberté et m’infiltre avec l’ombre maudite de Louis-Ferdinand Céline. Je la libère dans un espace déjà surchargé d’artifices et d’illusions. Qu’elle s’envole et se libère avant la censure définitive par les prêtres de la rectitude et du bon sens. Je prends le risque du plaisir, celui d’écrire quelques réflexions à la mesure de mon inspiration tout en sachant devoir lutter contre la lassitude, l’inutilité de mes cris et la somme de mes paresses.


Pierre Lalanne