jeudi 27 août 2009

Ferdinand furieux



Ferdinand Furieux

Pierre Monnier, éditions l’Age d’homme,2009


Depuis longtemps introuvable et surtout hors de prix, mille bravos à « l’Age d’homme » pour la réédition, après plus de trente ans, de « Ferdinand furieux ». Un témoignage aussi éblouissant qu’essentiel à la compréhension de l’écrivain et du cheminement de l’homme.


Pierre Monier a consacré énergie, temps, argent et amitié à la défense de Céline, à la réédition de ses œuvres et, aussi, à son passage chez Gallimard, après des années de censure. Ce livre magnifique, dissimule avant tout la grandeur d’âme d’un homme qui, avec si peu de moyens, sinon son enthousiasme et une amitié indéfectible pour l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » honni et abandonné de tous, lui a consacré efforts et temps.


Il s’agit du combat d’un homme contre la censure et la conspiration du silence instaurée par les vainqueurs, ce nouveau pouvoir d’après 45, auréolé d’une virginité inquiétante. Monnier se trouve devant une machine impitoyable déterminée à réduire à néant l’écrivain du siècle qui, admettons-le, représente pour eux le bouc émissaire idéal. Faute de pouvoir l’extrader et le fusiller sommairement, les autorités danoises se refusant d’être complices d’une justice arbitraire où les méthodes employées ressemblaient étrangement à celles de l’ancien occupant, les élites françaises décident que Céline et ses livres n’ont jamais existé; Céline est condamné a l’oubli.


Cette conspiration du silence se poursuit encore aujourd’hui où une bonne partie de l’élite s’acharne à maintenir Céline dans une obscurité à peu près complète, travail de sape, tentatives mesquines d’anéantir un génie, de montrer le caractère surfait de l’écriture célinienne.


D’ailleurs, Monnier (P.73) montre bien que le complot contre Céline est une réalité dès la « la libération ». Dès 1948, Albert Paraz, affirme que le moment est venu de démystifié toute cette époque afin de replacer l’histoire dans sa juste perspective et que tout n’était pas nécessairement blanc d’un côté et noir de l’autre :


« … (Paraz) a conçu aussi un projet de rectification historique dont la mise en pratique me parait urgente et salvatrice. Révolté par la mise en condition à laquelle nous soumet l’intelligentsia terroriste au pouvoir et son acharnement à donner aux jeunes générations une image manichéenne totalement fausse des évènements qui ont précédé la guerre, il souhaite la création d’un « gang de basculeurs de légendes». En 1948, c’était prématuré, aujourd’hui en 1978, c’est devenu impératif ».


Et en 2009, alors????


Donc, Monnier décide de s’embarquer et dans quelle galère… difficultés, contrariétés, et échecs. Les communications entre la France et le Danemark ne sont pas faciles, quiproquos, croisements, malentendus, désaccords, les 313 lettres de Céline, intégrés au texte, nous montrent un Céline isolé, impuissant, méfiant, colérique, impatient, souvent hargneux utilisant sa seule défense possible contre l’injustice, sa plume.


Dans la plupart des livres sur Louis-Ferdinand Céline de cette époque, on consacre beaucoup d’énergie à insister sur son « épouvantable caractère », sa mauvaise foi, les accusations gratuites qu’il formule, ses humeurs, son attitude envers ses amis qui sont largement exploités tels une tare, un manque de sensibilité et une preuve supplémentaire de l’image qui doit lui coller au cul jusqu’à la fin des temps. L’une des forces de Monnier est de faire la part des choses, de relativiser, d’expliquer et de comprendre : là est le plus grand intérêt du livre.


Pierre Monnier nous présente un deuxième Céline, celui qui souffre, une victime de l’injustice des institutions qui, parfois, ne parvient pas à saisir le pourquoi de la hargne et de l’acharnement contre lui. Étrangement, nous découvrons alors un Céline capable de tendresse; un Céline sachant reconnaître la valeur de ses amis, beaucoup plus nombreux que la propagande peut le laisser croire. Nous constatons l’expression de leur sentiment et de leur dévouement à le défendre, en particulier lors de son procès et de sa condamnation à un an de prison et à l’indignité nationale en 1950.


Monnier cite une lettre de Céline à Paraz (P.120) sur son sentiment face à ceux qui se sont levés pour le défendre :


« … Les amis ont été admirables et des inconnus! Et mes anciens maîtres de médecine – Et Daragnès et Marc Orlan et Marcel et Monnier. Vraiment, j’ai le cuir chromé, je pense, mais j’ai été et je demeure touché à vif et pour toujours par toute cette amitié si brave – si efficace – N… été magnifique et des journalistes inconnus. Et l’extraordinaire B… et l’incomparable C… et Marie – Et d’anciens malades aussi qui ont écrits au président de leur lit de Beaujon, ah le cœur a vraiment donné en ma faveur, moi qui travaille pas du tout dans la tendresse – ni l’électorat. Je serai vache et bien con de ne pas dire à tous que je suis reconnaissant au-delà des mots – Bien sûr, il y a des salopes – mais quand on est créateur et non destructeur de tempérament on ne tient en compte au final que ce qui nous a touché d’aimable, le reste, mon Dieu, c’est du cadavre. »


De l’amitié, du soutien… Céline en a beaucoup reçu pendant ces années et certains en prenant des risques, se faisant invectiver et même menacer. Soulignons le cas de Paul Lévy, le patron de Pierre Monnier, propriétaires de « Aux écoutes » et Juif qui, lorsqu’il eut écouté la décision de Monnier d’aider Céline :


« Paul Lévy m’écoutait sans manifester d’autre sentiment qu’un très sincère intérêt. Il me posa des questions, me demanda des précisions, prit des notes… Enfin, quand j’eus terminé, il resta un moment silencieux… Je le revois tout petit dans son fauteuil… Il se pencha en arrière… « Pauvre et grand Céline… Comment peut-on s’acharner sur cet homme et que lui reproche-t-on?... Comment ne comprennent-ils pas que Céline est un grand poète et qu’il a le droit de tout dire?... » » . (p.20)


En 1951, c’est le retour, à Meudon, la NRF, mais la conspiration se poursuit, « Féérie pour une autre fois » est totalement ignoré, sinon pour affirmer que Céline est fini, pourtant c’est bel et bien un nouveau chef-d'œuvre que nous présente Céline et Monnier le démontre avec cœur et simplicité (p.210) : Je sais que féérie est un livre d’une richesse, d’une beauté verbale, d’une poésie bouleversante pour ceux qui ont été une seule fois sensible au langage de Louis-Ferdinand Céline » .


Par contre, le couvercle se soulève légèrement avec « D’un château l’autre » et « Nord », les critiques n’ont pas le choix, on n’étouffe pas ainsi Louis-Ferdinand Céline, mais l’hypocrisie est là, on préférerait le voir ailleurs, en prison ou mieux, mort.


Le retour de Céline en France signifie la fin de la correspondance avec Moniner, mais ce dernier nous enchante par la chaleur de la description de ses visites à Meudon, la vie de tous les jours, ses animaux, Bébert, qui mourra peu de temps après le retour, ce Bébert, personnage grandiose des derniers romans,Toto, les chiens… l’amitié avec ses proches, l’amour de Céline pour les enfants et, surtout un des moments le plus magiques du livre, lorsque Céline montre à Monnier sa collection de dentelles lui venant de sa mère(p.199) :


« Pendent une heure, j’ai écouté une leçon sur le point d’Irlande, de Puy, d’Alençon, etc., tandis que nos mains effleuraient de petites merveilles, des frisures de fil tenu, nous admirions la finesse et la légèreté de ces ornements précieux et futiles à la fois. Je le regardais, il (Céline) prenait chaque pièce avec une infinie tendresse et me la montrait, comme il pique parfois entre deux mots rugueux, une petite fleur à la teinte modeste, pour éclairer la phrase »


À la fin de sa vie, se crée une très intimité entre les deux, Céline avoue à Monnier que cette haine allait se poursuivre bien au-delà de sa mort, une prophétie :


« … Quelque chose a été brisé. Nous avons l’histoire contre nous, je veux dire « leur histoire » avec tout ce qui compte d’obligations, de soumissions, d’interdits, de tabous, d’exclusives, de chasses gardées. Nous n’aurons jamais connu dans l’histoire une période aussi longue de haine, de vengeance… Autrefois, après un bouleversement, il fallait attendre 10 ans pour qu’une amnistie mette le point final aux antagonismes… 10 ans après la Commune tout a été effacé… Tu verras, cette fois-ci… Trente ans, quarante ans passeront sans que rien ne soit fait pour apaiser, remettre les choses en place… l’Histoire a été arrangé pour cent ans… « ils » ont surement détruit tout ce qui a été écrit et publié avant et pendant la guerre à l’encontre de leurs « thèses »…Ils vont ressasser… Pilonner… la télé… » (p. 261)


« Ferdinand furieux » n’est pas un livre d’excuses, un livre d’analyses savantes qui tente d’expliquer ou de justifier des actions, mais le combat d’un homme qui s’est battu longtemps seul pour une cause qu’il considérait juste, la défense du plus grand écrivain français, victime des siens, de l’arbitraire et de l’injustice. Pierre Monnier est un modèle d’intégrité et sert d’exemple à tous ceux qui ont à cœur la justice, la liberté de penser et d’écrire… .


Pierre Lalanne