mercredi 26 mai 2010

Le 27 mai 1894, Courbevoie, Rampe-du-Pont

On aimerait bien, en ce jour, lui souhaiter un joyeux anniversaire, fredonner avec lui une de ses chansons, sans façon, pour le plaisir de lui rappeler, qu’il n’est pas entièrement seul dans sa nuit éternelle :


«Mais voici tante Hortense

Et son petit Léo

Voici la Céline et le Puissant Toto

Pourquoi dire à ces potes

Que la fête est finie?...

Que le vent t'emporte

Feuilles mortes! Soucis!»


Règlements (refrain)


Il en reste un certain nombre, des irréductibles qui, chacun de leur côté et à leur manière résiste et se battent, écrivent, contestent argumentent, cherchent et publient afin de préserver la mémoire de Louis-Ferdinand Céline pour qu’un jour, la France le reconnaisse et le célèbre, comme l’écrivain majeur de la modernité et de la postmodernité… En fait, le dernier, nous attendons encore celui qui pourra prendre la suite…


Oh! Il y en aura, mais pas beaucoup pour y songer à ce 27 mai 1894, des accros, des passionnés, des timides, des fous, des tordus, des anonymes pour la plupart. Cent manières pour souligner cette journée… Les privilégiés peuvent passer par Meudon et déposer un galet sur sa tombe… quelques fleurs, rue Lepic ou rue Girardon ou, encore, simplement lever son verre (d’eau) à sa santé, en lisant quelques passages de « Voyage », en écoutant Lucchini ou Denis Podalydes.


Des choses simples, ni blablas ni flaflas… Céline n’aimait pas le faste et les déploiements, il avait vu, en 14, le résultat des grands rassemblements et des messes populaires. Un moment de silence, tout simplement, histoire de penser à l’écrivain et à l’homme.


Tout de même, 116 ans, c’est plus que vénérable.


Pas de quoi en faire une attraction sur la butte, les autres, les organisateurs à la mode, préfèrent s’en tenir à la rentabilité et à l’utilitaire selon les aléas de l’époque. Les gens s’entendent sur le patriotisme économique et participent, en masse à la journée de la baguette, du pinard, du code-barres, des sous-produits du sous-sol, ou que sais-je… N’importe quoi, c’est partout pareil, pourvu que la diversion soit efficace; n’importe quoi, pour gaver le bon citoyen d’illusions alimentaires… Alors, Céline, qui s’en soucie?


«Du pain et des jeux», demeurent les fondements de nos assises culturels et le troupeau se précipite au moindre signe de ceux qui s’activent à notre bonheur… à gauche, les soldes du printemps, à droite, le festival de la fritte et, au centre, le salon du sexe ou de la bourse… C’est selon la bandaison, c’est selon la lourdeur du millénaire et l’imagination des institutions.


Nous manquons de jours pour marquer les acquis de la société libérale et triomphante, fraternelle et égalitaire. Le moule est étanche et les fêtes se succèdent à grande vitesse, l’une faisant oublier l’autre, aucune alternative possible. La vie suit son cours, les évènements se reproduisent en boucles dans une banalité déconcertante et les médias nous rassurent que tout est pour le mieux.


Alors, pour ce 27 mai 2010, à Courbevoie, Meudon ou Montmartre, la commémoration est définitivement ratée! Une fois de plus! Les années nous bousculent et rien n’est collectivement envisageable, des évènements qui ne font pas le poids, face à une société qui se « facebookise », en préférant se donner des rendez-vous virtuels pour de se convaincre d’une existence réelle.


Nous en sommes là… un cul-de-sac de nullité culturelle où l’éphémère et la rapidité sont gages de génie. Céline avait bien cerné cet avenir de l’image dans ses critiques envers la télévision qui, à son époque, ne présentait alors que son œil borgne de cyclope. Il le sentait, mais ne pouvait certainement pas imaginer l’ampleur de ce qui suivrait.


Eh bien! Dans les circonstances, que faire d’autre sinon d’attendre patiemment, disons le 125e, en 2019 ? On verra le chemin parcouru depuis.


Par contre, l’an prochain, le 1er juillet 2011, marque le cinquantième anniversaire de sa mort, c’est embêtant et délicat de passer entièrement à côté du sujet, voire, impossible d’y échapper. Il y en aura pour écrire des livres, des articles, ponctués de quelques louanges prudentes, mais plusieurs autres ne manqueront surtout pas d’insister sur l’énormité de ses positions inacceptables, ses errances et ses délires.


Cela va de soi, cela est dans les normes, périodiquement, de décapiter Céline pour mieux le maintenir dans les limbes littéraires; comme si le génie se limitait à une seule forme d’idéologie. Pourquoi ne pas accepter que le délire célinien fait simplement partie du processus de création? Ses transes, ses colères, ses visions ne faisaient amplifier la réalité de son monde et les mots surgissaient en torrents ininterrompus.


C’est, je crois, Léautaud qui disait : si tout se pense, tout se dit…


Pourtant, au-delà des habituelles ritournelles anticéliniennes, le temps est peut-être propice de poser un véritable geste et rétablir les faits, revisiter l’histoire et relativiser les massacres du XXe siècle, en les plaçant dans une véritable perspective historique; la perspective de tous les massacres et génocides des siècles et des siècles, passés, présents et futurs.


La lutte du bien contre le mal est un leurre aussi persistant que l’humanisme et les bons sentiments des dirigeants politiques ou financiers. Le Grand mensonge est systématiquement réactualisé en fonction des besoins idéologiques de l’époque dans la quel nous survivons, il n’y a que les intérêts d’un l’un contre l’autre qui compte et la guerre en est toujours la justification finale. Céline a commis l’erreur de le crier au mauvais moment; de le crier trop haut et avec trop de véhémences.


La France n’a donc absolument rien à gagner à continuer à s’auto flageller ainsi, en utilisant Céline comme le modèle parfait du défoulement national contre ceux qui voient les choses autrement et d’en faire l’exemple type de la traîtrise, du racisme et de l’ignominie nationale. En procédant ainsi, face au plus grand porte-parole de la langue, la France prend un plaisir malsain à se mépriser elle-même.


Elle refuse de concevoir l’exceptionnel; elle uniformise la pensée, la banalise, la « manichéise »; elle étouffe sa propre diversité en hurlant avec la meute. La France nie ce qui fait sa culture et sa spécificité. Malheureusement, c’est énormément demandé aux pleutres, d’admettre cette volonté commune de nier le génie lorsqu’il ne concorde pas avec la morale en vigueur; cela les éloigne peut-être de leur propre nuit, mais pour un temps seulement.


Allons avant qu’il ne soit trop tard! Du courage! Un geste, Messieurs des Autorités, il est temps d’émerger du marécage et osez l’affirmer, malgré votre bienveillante hypocrisie, ce que vous songez tout bas depuis des lustres; c’est le moment d’agir, sinon il sera trop tard. Vraiment trop tard.


Voyez! À ce que l’on raconte, « Voyage au bout de la nuit » est même le livre culte du Président de la République, il achète des lettres de l’ogre et même la première dame rencontre Lucette à Meudon… que l’entente règne… On s’embrasse… On se félicite et chacun admet en secret que Céline est incontournable, mais, officiellement, on persiste à l’ignorer.


La France est-elle couarde à ce point? C’est inimaginable, cinquante ans qu’il est mort et toujours incapable de reconnaître ce que Louis-Ferdinand Céline a fait pour elle, pour la littérature, pour sa langue; lui qui s’est même battu pour elle, blessé et médaillé. Serait-ce que la Patrie préfère « légionner » la culture hollywoodienne, plutôt que la spécificité de ses propres enfants, de ceux qui ont véritablement créé pour elle; serait-ce que tous les amoureux de cette langue, les poètes, les chanteurs, ne sont que des ringards?


Il s’agit d’un hasard, bien entendu, mais depuis la mort de Louis-Ferdinand Céline, la culture française agonise aussi lentement que sûrement, constatez, Monsieur le Président et voyez que la valorisation de l’identité nationale passe avant tout par la revalorisation de la langue et la réhabilitation du plus grand de ses écrivains. Lui seul, par ses livres, sa personnalité, son indépendance d’esprit, possède encore le charisme suffisant pour insuffler un nouveau souffle à la culture française et vous laisserez passer l’occasion?


Les « céliniens » ne demandent pas le panthéon, le Nobel posthume, quoique…J’imagine Lucette, à 98 ans, sur la grande scène, en compagnie de la monarchie suédoise, les invités d’honneur, le gratin et, derrière elle, face aux invités, une immense photo de l’Ermite de Meudon, haillons entourés de ces bêtes…Un Saint-François-d'Assise à la moderne, s’occupant des faibles, les soignant et les mettant en garde contre la folie des hommes. Mais, bon, inutile d’insister… c’est sombrer dans la réaction…


Quant au panthéon… Ah! Le panthéon!, la crypte des modèles de la République reconnaissante… Mais où le placer? C’est pas si simple, près de Zola qui, malgré tout est un peu son grand-père, Zola le phare de la gauche? Hum! Disons, plutôt, comme avec Voltaire et Rousseau… Céline et Sartre, face à face, ce serait bien… Le style contre les idéâââs, les deux visages de la France du XXe siècle… Le Hargneux contre le Ténia.


D’un côté, le soldat de 14, patriote, engagé volontaire et révolutionnaire de la langue et, de l’autre, le philosophe, le monsieur météo de la «drôle de guerre», metteur en scène du stalag, libérateur à bicyclette et résistant d’après-guerre en peaufinant mesquinement son ascension; dénonciateur en titre, vengeur et grand moralisateur… Sartre qui, contrairement à Céline, fit tout, sauf la moindre révolution.


Mais non, rassurez-vous, Monsieur le Président, personne n’en demande autant et puis, nous comprenons, 2011, c’est bien près de l’échéance électorale et la conjoncture n’est pas très bonne… À quoi bon se risquer dans les sentiments pour un médecin-écrivain, tenter la chance et voir monter aux barricades tous les curés de ce monde.


Il faut bien le reconnaître, commémorer Louis-Ferdinand Céline, c’est autrement plus délicat que réformer les retraites, réduire le déficit de l’État ou venir renifler le nucléaire iranien. Nous admettons que vous ne pouvez pas vous attirer des ennuis pour si peu. Céline le premier, serait bien placé pour en saisir l’acte de suicide, lui qui s’est mouillé à se noyer pour avoir ramer à contre-courant afin d’éviter l’inéluctable.


Bien sûr! Nous connaissons aussi les vieilles rengaines : l’admirer, c’est donner son aval à tout ça, au passé, à l’épouvantable défaite, à raviver les vieux fantômes, suggérer des idées aux autres, recommencer l’intolérance, les années terribles…Vichy. Tout a été dit, redit, évangélisé, écrit, réécrit et légiféré… les uns diabolisent les autres, imposent leur vérité et les voilà rassurés…


Sérieusement, oublions le Nobel et le panthéon, peut-être qu’en contrepartie, une statue ferait l’affaire? Une toute petite, dans un coin… Pas dut tout! Vous n’y pensez pas! C’est hors de question! Cela dépasse les limites de l’acceptable, diront les gardiens de l’orthodoxie républicaine. Inadmissible! Une insulte aux droits de l’homme, une incitation à la violence… Bon!


Pourtant, il faudrait davantage qu’une citation sur la porte des chiottes d’un musée ou d’une cinémathèque. Un peu de classe que diable, quelque chose comme un Grand Boulevard Louis-Ferdinand Céline… Un lycée, une Place dans Montmartre, le quartier qu’il aimait tant… C’est encore trop, diront-ils à nouveau? C’est toujours trop tôt… Une petite plaque commémorative alors, aux endroits où il a vécu, soigné, écrit, étudié? Les lieux ne manquent pas, il n’y a que l’embarras du choix et le plaisir secret de résister aux arguments de bien-pensants. Avouez, Monsieur le Président; c’est le minimum de la décence acceptable.


Un dernier point, si vous désirez bien faire les choses et c’est peut-être pus important que les plaques commémoratives, il faut classer le pavillon de Meudon, le protéger contre la spéculation, les développeurs du futur et autres promoteurs en herbes. Il y a urgence, Monsieur le Président, une action courageuse et incontournable, préserver l’ermitage, le lieu de sa dernière retraite, son dernier exil où il a terminé « Féérie… », écrit « D’un château l’autre », « Nord »et « Rigodon », sans oublier les « Entretiens avec le professeur Y ».


Si ce n’est pas pour Céline, Monsieur le Président, faites-le au moins pour protéger du pillage et de l’outrage, la tombe de Bébert, son plus fidèle compagnon, avec qui il a redécouvert l’amour des animaux, le chat le plus célèbre de la littérature française. Si vous refusez, il faudra agir autrement, les « céliniens » devront se concerter et créer une véritable Fondation Louis-Ferdinand Céline, vouée à la protection du souvenir. Vraiment, le temps file.


Vous voyez, Monsieur le Président, il me semble que les raisons ne manquent pas et les exemples non plus. Il suffit d’un peu de cette bravade bien gauloise, ce petit air de provocation et de fierté dont vous aimez si bien vous parer. Allez! Un geste pour le cinquantième pour ce si grand écrivain, qu’est Louis-Ferdinand Céline.


Pierre Lalanne



3 commentaires:

  1. Salut. Je ne suis pas le président ! Mais je salue bien bas votre appel qui contient toutes les vibrations de l'urgence face au précipice de médiocrité qui nous avale lentement mais sûrement comme un serpent.

    Un jour je passerai au cimetière de Meudon.

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  2. ...je pense à Les Invalides, un lieu pareil, pour le plus grand ecrivain de tous les temps...pas du moins!

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  3. Voilà...je crois qu'il faut créer l'impôt Céline, pour tous ceux n'est-ce pas qui se réclament de lui..etqui au lieu d'écrire font des pointillés dans la vérités, des hésitations bien payées. Et puis au moins ce pognon pour la tombe, Lucette ce serait un peu la paix, plus de craintes du terme.Là où il est il sait qu'il serait mort, le mieux pour qu'il n'ai rien à regretter c'est encore de ne pas l'oublier entièrement, Salut au Maître, pour les 50 ans réveillez vous écrivillons ! c'est la seule façon qu'il vous reste pour que l'on se rappelle de vous, en célébrant sa grandeur ! allez volez un peu ça vous consolera de vos ouvrages antérieurs et enterrés. Voyager c'est bien utile...

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