dimanche 26 juillet 2009

Goétie de Céline



Goétie de Céline, Denise Aebersold, éditions Société d’études céliniennes, Paris 2008


Livre envoûtant, analyse impeccable qui nous plonge dans un univers inaccessible et mal connue de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline; livre qui impose par son originalité, sa rigueur, la rectitude de son cheminement et la justesse du propos. Il s’agit d’un véritable voyage initiatique dans les confins de la pensée de l’écrivain. La révélation de l’existence d’un pacte entre un « outre Céline » initié et l’ombre du diable; la rencontre fantastique du réel et de l’improbable. Un livre réservé à ceux qui admettent le caractère messianique de l’écriture célinienne; ce prophète du XXe siècle, comme l’écrivait Philippe Murray dans son « Céline ».


En grande prêtresse du verbe célinien, initiée à la symbolique des mondes inversés, Mme Denise Aebersold entraîne son lecteur imprudent dans un labyrinthe tortueux où les jeux de miroirs alternent avec les trompes l’œil, les rites magiques, les sabbats, les incantations, les recettes de sorcières, grimoires, errances et croisement des doubles. C’est le merveilleux qui éclate, À sa suite, nous sommes tous lancés à la poursuite d’un Céline « Chevalier de l’Apocalypse ». Nous sommes avec lui, lorsqu’il touche le bout des doigts crochus les fées, démons et autres créatures de notre imaginaire identitaire. Nous frissonnons, lorsqu’il invoque et exige de connaître la sagesse des ténèbres et ses vérités inaccessibles au commun.


Tout au long de son livre, l’auteur nous entraine dans une quête de l’hermétisme encodée dans les textes sacrés de l’écrivain. Sur un miroir embué, elle nous en dévoile les reflets, l’essence même de la kabbale célinienne où la transposition de « l’émotion » transperce le Verbe et relègue Dieu à une simple raison sociale. La vision célinienne est excessivement brutale et montre la profondeur du fossé entre la réalité de l’homme et les mensonges qu’il se forge afin de pouvoir subsister dans l’illusion du bien. C’est avec brio que la « Goétie de Céline » décortique l’évolution symbolique du désespoir de l’auteur du « Voyage au bout de la nuit »; désespoir qui se développe et s’amplifie à mesure que l’œuvre se construit.


Dans sa démarche, Céline a choisi de poursuivre bien au-delà de ses propres limites, de comprendre et d’affronter le monde en l’inversant et en s’alliant avec les êtres maléfiques qui vivent dans les caves obscures et les souterrains humides, à proximité… juste sous le monde des vivants. Il a compris que la vanité humaine n’a qu’un seul but, c’est de dépasser l’image de son Dieu en devenant lui-même éternel. Mais son véritable Dieu n’est pas celui qu’il croit et là est le sens caché de l’écriture célinienne et cela va bien au-delà des considérations purement idéologiques, politiques ou même racistes de l’auteur.


D’ailleurs, à la page 290, Mme Aebersold écrit : « … le bien équivaut au mal. Tout Céline est parcouru de ce postulat : le bien n’existe pas, sinon en tant que fausse fenêtre du mal… « à chaque vertu sa littérature immonde». Jamais l’auteur n’abandonnera complètement cette idée »


C’est à partir de cette seule vérité possible que Céline s’est découvert une vocation de prophète. À force de travail, d’expériences, de voyage initiatique et de rencontres obscures avec des personnages ténébreux, Céline a cheminé au travers ses « mille misères » pour styliser ses évangiles de l’Apocalypse. La goétie, cette science des ténèbres, démontre que l’ensemble de l’œuvre de Céline constitue un unique et très long voyage qui s’achève sur un échec, cette quête du Nord qui, malgré tout, il souhaiterait libérateur et qui se situe bien au-delà du Danemark, un « outre-Nord » où la guerre n’est plus qu’un écho, mais il meurt avant d’y parvenir.


Ainsi, « Voyage au bout de la nuit » constitue le premier contact avec la magie de l’ombre, qui se précise avec Mort à crédit et devient carrément démoniaque avec « Guignol’s band » et atteint son paroxysme avec « Féerie pour une autre fois » où, sous les traits de Jules, on voit le Diable s’emparer de la Bute et du Sacré-Cœur.


D’approche difficile (hermétique???), entièrement ignorée et incompris par la plupart, « Féérie pour une autre fois» prend ici une nouvelle valeur et une signification exceptionnelle, bien différente du simple délire sur une expérience de bombardement. Le livre dissimule une véritable dimension messianique, l’orchestration du « mal » dans sa globalité qui émerge du centre de la terre et s’empare même du ciel pour enflammer la terre. L’envers et l’endroit se chevauchent et se confondent dans une tourmente de feu, d’explosions et de destruction; les meubles dansent, les maisons disparaissent, le métro fou s’emballe et les moulins de la Galette tournent et s’envolent dans un tohubohu indescriptible. Sur son toit, Jules, en est le grand chef d’orchestre des ténèbres, commande les forces en actions. Ferdinand n’est plus qu’une poupée ballotée à la merci de tous les diables de l’enfer, un jouet entre les mains de l’innommable.


L’impression est que Céline n’est qu’un spectateur impuissant, mais le spectacle est pour lui, mais Satan l’emprisonne pour lui montrer le monde réel, le royaume éternel où la guerre est la mère des hommes. Il faut relire « Féérie pour une autre fois » dans cette folie incantatoire où le fantastique n’a rien à envier à la réalité… très impressionnant, vraiment! D’ailleurs, je ne sais plus si l’auteur le mentionne, mais Céline a souvent affirmé que « Féérie pour une autre fois » était son livre préféré, le plus accomplie, le plus achevé, celui où son style a atteint la perfection qu’il recherchait… Pacte, kabbale et texte sacré… Céline a atteint cette autre dimension, l’apparence hermétique du livre se situe dans notre propre aveuglement, notre refus de l’accompagner jusqu’au bout de sa nuit.


Après le paroxysme de Féérie, la trilogie allemande exprime cette fuite vers le Nord, la quête d’une terre promise ou le mal peut se figer dans la pureté de la glace. Le Nord devient alors le symbole frileux d’une certaine « liberté », l’aspiration au repos après tous ces affrontements, une sorte de résurrection à un « outre monde », mais ce Nord danois n’est qu’illusion et constat du voyage interrompu, prison, exil, retour au Sud et dernier voyage, la mort.


Enfin, les pamphlets sont abordés rapidement et avec une certaine retenue, contrairement aux ballets et aux romans. Bien sûr, les inévitables avertissements, comme s’il fallait constamment s’excuser de causer Céline et de ses travers… comprenons que le sujet demeure tabou et pour longtemps, aussi longtemps qu’on continue à tuer au nom de la liberté et de la dictature de la multitude.


Pourtant, dans la foulée de l’analyse de Mme Aebersold, il me semble que la vision de « l’outre Céline », dans son délire antisémite, va au-delà du racisme ordinaire et vulgaire et que l’écrivain s’adresse davantage à l’ensemble des hommes en mettant à nu leur véritable essence, et ce, qu’ils soient blancs, noirs ou vert. Dans sa verve, il illustre sa vision « mal » en voulant lui donner un visage afin de bien se faire comprendre; visage qui peut s’interchanger à volonté. En ciblant « le Juif », Céline désire interpeller l’humanité tout entière, démontrer sa folie; il s’attaque alors au seul groupe ethnique qui peut illustrer sa perception du mal; le seul groupe qui, au travers l’histoire de l’occident, assume la responsabilité des malheurs qui va le frapper à mort et précipiter ainsi, son déclin.


Les pamphlets illustrent le profond désespoir d’un homme pour une civilisation qui a atteint son apogée et prépare dans le feu et le sang, son agonie. Céline associe cette terrible catastrophe à un peuple maudit, parce qu’élu de Dieu et qu’il représente, en même temps, le symbole de l’opprobre universel. Alors que vise Céline, sinon montrer que l’homme n’a aucune chance de s’en sortir, puisque sa perception du « bien commun » se limite à diviniser celui qui pisse le plus loin et lui élever des monuments.


Qu’importe, le sujet est inépuisable et bien trop sensible pour risquer la censure et l’hallali. La « Goétie de Céline » est un livre essentiel et son seul reproche est la difficulté de se le procurer, comme s’il était destiné qu’aux initiés…


Pierre Lalanne




dimanche 12 juillet 2009

Louis-Ferdinand Céline et l'idée de la mort



L’idée de la mort est présente dans toute l’œuvre de Céline; elle en est sa principale source d’inspiration, le point de départ d’un cheminement littéraire hors du commun. Au cœur du mystère de la mort, il puise force et courage pour un voyage périlleux traversant la nature humaine; périlleux, mais nécessaire pour affronter la vérité du monde, vision de prophète qui transgresse sa pensée jusqu’au délire des mots et de leur magie. Céline récite de longues suites de formules incantatoires afin de conjuguer le mauvais sort.

Comprendre la mort et sa malédiction… entreprise hasardeuse pour un homme aussi seul, vulnérable et angoissé par le destin tragique de l’humanité, résigné par l’habitude de subir leur propre folie. Céline consacre la puissance de son mysticisme à percer le secret des ombres, responsable des malheurs de son siècle; il en prédit les d’horreurs, mais en il paiera amèrement la note pour trop de lucidité.

Pendant toute sa vie, il côtoie cette mort à la fois terrible et sublime, navigue entre ses récifs et en longe les rives insondables. Il cohabite avec le néant, force l’obscurité, subit le silence, assume seul les risques, dénonce, prévient et accumule les haines. La sorcellerie de l’écriture célinienne est le résultat de cette recherche intime, un foisonnement d’émotions, un grouillement de fantômes et d’êtres étranges, un tâtonnement dans la nuit éternelle, la rencontre de spectres au détour de sentiers tortueux et d’enchevêtrements où le délire mystique se mêle à l’absurdité de l’existence.

Très tôt, il affronte cette mort dans sa représentation la plus terrible, la rencontre est directe et sans nuances; il apprend que « la raison d’État » ne fait pas dans la dentelle… Le choc! La guerre! L’esprit du temps! L’image de la réalité est cruelle et d’une absurdité complète. Il apprend, contrairement à la propagande habituelle des élites, que la guerre n’est pas un jeu de salon, parades d’uniformes, femmes, bénédictions et revues à cheval sur la grande place; celui qui crève là-bas n’a rien d’autre à gagner que l’oubli.

Sur le terrain, c’est pire que dans les histoires, la terre est nue, labourée d’obus, les arbres, les villes; la campagne enlisée dans une boue de sang et de putréfaction; tout cela n’est que recommencement et justification aux temps figés dans la mort. Fort de sa sensibilité, Céline entre dans la danse macabre par la guerre et la certitude de ses mensonges et de ses fausses promesses : la der des ders, la liberté, la démocratie, les valeurs, la morale, Dieu avec nous, le drapeau, la République, le courage, la gloire… le mensonge et la guerre toujours… une n’attend pas l’autre, indéfiniment, des siècles et des millénaires ainsi à se taper dessus.

La guerre et seulement la guerre, suffisance des généraux, complicité du politique et des curés… cette grande marche des civilisations, cent fois chantées par ceux qui restent et avivent le besoin de chair.

Puis, médecin, Céline constate la guerre des jours ordinaires, sa triste banalité, bouffer, produire, procréer avorter, la maladie, la vieillesse, la souffrance… encore crever… La mort en tant que moteur des sociétés… l’économie, la séduction, l’apprentissage, la médecine et même l’écriture, une bataille constante entre l’encre et le papier « sa peau sur la table » et au bout de tout cela, la nuit célinienne, éternelle, celle de chacun d’entre nous.

L’homme n’est pas un être de vie, mais de guerre, c’est-à-dire de mort. Là est la seule vérité; la finalité et nul n’y échappe.

Cette évidence est pourtant inacceptable aux yeux de l’ensemble et d’autant la refuse d’où une banalisation de l’acte de mourir et le refus de le considérer comme une normalité permanente. Comment réagirait Céline avec notre immortalité du moment présent où demain n’existe pas?

Le modèle Ford de Voyage est le pâle prélude à l’exclusivité de l’éphémère, la consommation ultra rapide et répétée à l’infinie, à la chaine, offrir l’illusion d’une vie trop bien remplie pour ne pas s’arrêter à songer à l’état de permanence de la mort. La nier, elle est devenue le taboue le plus importants de la vie, un non-sens absolu et un refus de la réalité.

Comment écrirait Céline, aujourd’hui sur la mort, la vie et ses mensonges?

L’humain ne meurt plus, il quitte le monde, part en voyage, traverse un long couloir attiré par une lumière, blanche et éclatante… une multitude d’élucubrations et de faux espoirs que Céline n’a jamais ressenti. Il a fréquenté la mort de trop près pour se farcir de rêveries religieuses sur l’éternité paradisiaque, la réincarnation ou l’intégration d’une énergie spirituelle liée à un grand tout féérique; sorte d’univers spectacle télévisé, big-bang, feux d’artifice et supernova en trois dimensions.

En fait, l’idée de la mort est devenue libérale et démocratique, la dernière étape du consommateur consciencieux de son importance et satisfait d’une vie passée à entretenir l’éphémère. À la fin, le moribond peut choisir parmi des dizaines d’options possibles, selon la mode du moment, le type d’éternité qui lui convient. Peu importe, il en a le droit et ne pourra revenir accuser les vendeurs de rêve de charlatanisme.

Plus que jamais, l’œuvre de Céline apparaît comme incontournable, elle replace la mort dans une juste perspective, c’est-à-dire au centre de la vie. Il en fait la seule vérité possible; la vie, l’existence, le bonheur, est le plus grand des mensonges, la plus grande supercherie. Dès la naissance, il n’y a pas d’autres options que la mort, toujours à venir, menaçante et Céline ne peut accepter que d’autres refusent de l’admettre, de voir la réalité… assurément par lâcheté, croit-il. Pour lui, la « grande faucheuse » n’est nullement un mythe, que l’Ankou, chaque nuit, remplit sa charrette de passagers et, la seule certitude est qu’il reviendra demain et encore après, jusqu’au moment où il s’arrêtera devant sa porte.

Pierre Lalanne


dimanche 28 juin 2009

Je confesse mon âme à Louis-Ferdinand Céline



Hugo, Balzac, des géants absolus, indécrottables face à l’histoire mondiale de la littérature. Impossible d’échapper à la mode sécuritaire de nos certitudes, de revenir, de critiquer, d’émettre des doutes sur la lourdeur et la fausseté. Des chefs-d’œuvre incontestés, embaumés dans la gloire et les honneurs et inutile de les lire tellement ils sont grands et gonflés d’orgueil, médaillés, statufiés, académisés; à quoi bon perdre son temps, suffit de les nommer pour notre satisfaction culturelle.


De nos jours, causer d’un écrivain sans l’avoir lu est preuve d’intelligence et de bon goût, le summum d’un intellectuel à l’affût, qui a autre chose à faire que perdre son temps à lire.


Il y a Zola, cet ancêtre, ce précurseur, un peu célinien avant l’heure, ce mal-aimé des biens pensants et bête noire des puristes aux mœurs irréprochables. Les Rougon-Macquart demeurent un enchantement où l’on devine une tentative d’explication de l’humanité dans un naturisme de bon aloi. Pourtant, Zola compte parmi les écrivains essentiels de l’évolution de notre « modernité ». Quant à Proust, il représente davantage le regret d’une époque bénie et le commencement d‘une littérature en fin de parcours et à bout de souffle.


Les classiques Russes, par contre, avec Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev possèdent un sens rare de l’émotion, capable de remuer l’âme dans sa profondeur avec leur facilité à s’accaparer de l’espace et du territoire, la neige, le vent et l’immensité des paysages, sans parler d’un sens particulier pour la fête avec ce mélange de nihilisme et de foi naïve. Le fataliste slave est enivrant, il est facile d’y plonger et ne plus jamais en ressortir. Pourtant, de par sa religiosité enfantine, le classicisme russe ne permet pas de saisir et comprendre le monde dans sa véritable destinée.


Quant à nos écrivains contemporains, ils s veulent les membres de la famille élargie d’une pseudo gauche, corrompue par leur avidité envers un pouvoir qu’elle croit pouvoir contrôler et qui leur permettra de transformer la société à leur image, gavée par les bonnes intentions de leur suffisance. Ils sont les choyés d’une société à l’idéologie unique.


Enfants d’une révolution ratée et d’une République basée sur les privilèges. États, médias, critiques, élites, ils se donnent bonne conscience par une glorification de chefs-d’œuvre destinés au service de leur haute moralité, basée sur les valeurs d’une majorité dite démocrate et « politiquement correcte »…


Malraux de « L’espoir », Sartre de « La Nausée » et tous les autres oubliés et déjà littérairement morts dans leurs illusions. Gide, Mauriac, Saint-Ex, Montherlant, Martin du Gard… momifiés dans leur papier bible galimardisé, tellement leur bêtise donne l’impression d’avoir dominé l’esprit de leur temps.


Pour Camus, c’est le summum, il coince dans la gorge dès les premières pages, à désespérer de l’intelligence… À vomir dès la première dose… Et après, pour se consoler… Il faut bien lire. Oh! Il en existe d’autres, des contemporains, des centaines d’excellents écrivains, mais toujours l’insatisfaction, le vide, leur incapacité à comprendre et à saisir la triste réalité de notre évolution; tous ces livres par centaines qui dégagent une préciosité insupportable, un nombrilisme absolu. L’expression d’une France gonflée par l’orgueil de son passé et indifférente face à sa fin. Personne, n’y voit l’ouverture d’un gouffre gigantesque où s’enlisent nos sociétés dans une recherche fastueuse d’un bonheur matérialisme inatteignable.


Notre époque appartient aux héritiers de cette gauche, convaincus d’avoir réussi quelque chose de grandiose, cette élite décadente et joyeusement embrigadée dans l’esprit d’un bonheur universel basé sur les « droits de l’homme » plutôt que la justice. Cela valait la peine de sortir du christianisme pour s’enfoncer dans une nouvelle religion, recommencer le monde à partir d’une pensée basée excessivement sur de pauvres illusions de fraternité et d’égalité. Réformer le droit, humaniser le capital, ériger la production en valeur absolue.


Bien entendu, dans toute cette idéologie des bons sentiments, il hors de question de songer à Céline, il reste parfait dans son rôle unique d’incarnation du mal, le Méphistophélès de la littérature, chassé du panthéon de l’humanisme. Céline représente l’exemple de l’homme perdu ayant sombré dans une haine totale envers cette pauvre humanité qui ne demande qu’à être bonne. Vaut encore même mieux lire Hitler qui, finalement, est beaucoup moins dangereux; avec lui, on sait à quoi s’attendre.


Malgré la censure, les tentatives à le réduire à un lumpenprolétariat des lettres, l’écrivain maudit impose quand même son sens de la musique, ce lien essentiel entre les mots, les phrases et leur impact sur l’esprit. Le verbe célinien surgit de l’obscurité, telle une lune dans la nuit. L’expression de son écriture n’a rien à voir avec les concepts philosophiques ou religieux dont les élites se servent allègrement pour justifier la misère, la souffrance et l’esclavage de la condition humaine : « le monde est une vaste entreprise à se foute du monde ». Il n’a rien d’autre, dès la naissance, la mort plane au-dessus de nos têtes et attend le bon moment pour fondre sur nous et nous anéantir, c’est la seule vérité possible.


Devant, derrière, au centre, toujours l’obscurité de la mort. L’espoir du monde meilleur, terrestre ou autre est une chimère inventée par les curés et les révolutionnaires de toutes les époques. Dès les premières lignes de Voyage…, Céline pose les conditions de l’existence humaine, identique à n’importe quelle naissance… « Ça a débuté comme ça… moi j’avais jamais rien dit » (rien demandé??)… et à la fin du livre, c’est l’après, la mort, inévitable… « …qu’on en parle plus. » La vie, le destin de l’homme se résume en ces phrases, le commencement et la fin. Toute la puissance de Céline s’articule entre ces deux constats. Aucun Dieu, aucune révolution et surtout, aucune littérature, ne peut surpasser cette terrible réalité.


La finalité célinienne est un lever de soleil sur un champ de bataille, les vivants enterrent leurs morts et préparent le terrain pour la prochaine fois; car la lumière même est une illusion, puisqu’elle s’éteindra et mourra à son tour. Même Dieu est mortel, aucun autre écrivain n’était allé si loin dans l’absolu, droit au but dans le néant avec cette verve de l’apocalypse. Céline n’a aucune pitié pour ceux qui croient.


Céline a vaincu la littérature, ramené les rêves et les illusions à leur juste mesure; il a montré que nous vivons sur le mensonge et que le seul Dieu, la seule révolution possible, c’est la mort… Le reste, c’est du bourre mou.


Pierre Lalanne

samedi 13 juin 2009

Louis-Ferdinand Céline et le souffle du Verbe.

Multiple, entier et doté d’une lucidité déroutante, Céline impose sa vision de l’homme dans la hardiesse de sa langue et la marie avec les évènements de son siècle. Un tel choc dans un temps si lourd de malheurs et de détresse, que cette rencontre ne pouvait que propager une onde de choc dévastatrice. Elle se répercute jusqu’à aujourd’hui et nous frappera encore demain; l’ombre célinienne sera encore là pour nous narguer et encore plus loin, d’année en année, jusqu’à toujours, jusqu’à l’Apocalypse, comme l’empreinte indélébile d’une puissance maléfique.


L’aventure célinienne dépasse la froideur de l’analyse littéraire, surtout cette hypothèse farfelue de l’existence de deux Céline, une excuse pour en sauver un au détriment de l’autre. Nous n’avons qu’à choisir, mais lequel est le véritable Céline? Le génie ou le salaud? Le visionnaire ou l’ordure? Le prophète ou le diable? Hélas, Céline est indivisible et à prendre dans sa totalité, mixte, torturé, mais indivisible… son nom est légion.


Son souffle est rire et délire… emballement, exagération et exaltation; son Verbe est l’éclatement de l’écrit bouillonnant dans une mixture de sorcière; explosion de féérie et de soufre infernal. Céline ose affronter la langue, la déformer, la remodeler et la styliser en la raccrochant au vécu, à la misère et au destin tragique de l’Être.


Paradoxalement, l’écriture célinienne allège la prose, la parfume, la provoque et jouit de l’entendre virevolter, tourbillonner et s’élever… libre de ses chaines. Cette langue vibrante et française qu’il adore, mais depuis longtemps étouffée par la poussière soporifique des classiques collés aux fauteuils des académies et des offices.


Louis-Ferdinand Céline est un révolutionnaire d’exception, non pas un messie masochisme avec fleurs et amour de crucifié ou brandissant d’une main « Le capital » et de l’autre la kalachnikov, persuadé de pouvoir rendre l’homme meilleur. L’erreur de ces prophètes fabriqués en séries est de croire pouvoir forcer l’homme à sortir du gouffre où il est tombé depuis sa descente des arbres, il y a bien cent mille ans de ça.


Il est un véritable révolutionnaire parce qu’il s’est attaqué au Verbe et, malgré les apparences, l’a vaincu. Céline, un créateur d’univers doué d’une finesse et d’un sens de l’imaginaire hors du commun.


À partir de cette fatalité incontournable et tragique qu’est le destin de l’homme, c’est-à-dire l’absurdité de sa naissance et l’incompréhension envers a mort, il a réussi, avec sa magie musicale, à ramener le niveau de conscience à la hauteur du réel et, par le fait même, à démontrer la toute-puissance du mensonge comme expression de la pensée humaine.


Faux-semblant, dissimulé à l’intérieur d’images bucoliques destinées à masquer la réalité d’un monde fictif, emprunté, hypocrite et inutile. Céline a bien compris, qu’au bout de la pièce, à la toute fin du dernier acte, revient en force la seule vérité, le désespoir de la mort que rien ne peut éloigner… rien! Ni Dieu, ni l’illusion de mille bonheurs terrestres, c’est là… c’est le gouffre, le néant que nous offre la plume si vivante de Céline; la frigidité du vide, l’ombre d’une nuit interminable, la sienne et la nôtre… «où rien ne luit ».


Incarné, l’écrivain devient effrayant parce qu’il apparaît en justicier qui se situe bien au-dessus des conceptions primaires de notre morale de marché et de boutiquier, basée sur le droit à l’injustice. Céline représente la dernière couche de lucidité enfouie dans notre inconscient, les restes d’une vérité diluée par les lointains silences de nos origines et qui, parfois, reviennent nous hanter en guise de présage d’avenir.


Céline est un messie de l’ombre qui, pour se faire comprendre du troupeau, doit non pas le transformer, mais attaquer le Verbe qui les guide, le tourmenter et s’emparer du souffle de l’inspiration en recréant les fondements de la langue. Il doit, dans la vivacité de son imaginaire, régénérer cette langue moribonde et lui offrir un nouveau possible, une continuité dans le temps et l’espace, lui transmettre ce souffle indispensable à la diffusion de son message, le mensonge, celui existant avant tout les autres, le mensonge de naître et d’exister.


Il est donc parvenu à imposer au Verbe son propre souffle par le rythme effréné de sa langue et l’élever à la hauteur de son univers, celui de la mort, du désespoir et de l’incapacité pour l’homme d’y échapper. Autre paradoxe, car, en même temps, il redonne l’espoir en démontrant que la langue peut devenir autrement qu’académique, classique, emmerdante et réservée à une élite nombriliste minable et bien gangrenée d’autosatisfaction, qui se goinfre de dictes et de règles.


Ainsi, le désespoir célinien dissimule un mince espoir; l’espoir inconscient d’une régénérescence par la révolution contre le Verbe qu’il tente de renverser par sa fièvre musicale. Pour Céline, l’idée de la mort n’est pas incompatible d’avec l’émotion, au contraire, la mort en est l’unique source d’inspiration… les regrets, les souvenirs, les disparitions, les soupirs, l’espoir d’un retour... Tout l’imaginaire célinien est lié à la mort et non à cette vie de putasserie, épuisante, traîtresse, éphémère et infidèle.


Comment alors, pour les âmes qui refusent l’image même de la mort, ne pas détester un tel porte-parole en provenance du néant, un tel écrivain surgissant des enfers de la terre? Bien plus que de l’incompréhension, ils sont saisis de terreur, de haine et de mépris à seulement tenter de prononcer son nom. Alors, pour ce qui est de le lire…


De tels exemples, dans l’histoire de la littérature, l’exemple d’un écrivain pourchassé par autan de haine pour ses écrits et encore plus loin après sa mort, n’existent pas. Aucun « pardon » n’est possible pour celui qui cherche à briser les certitudes d’une pensée plus que millénaire, normée et acceptable par la totalité du troupeau.


Alors, la question, pour les élites d’aujourd’hui n’est pas de s’abaisser à reconnaître la réalité de la révolution célinienne, mais plutôt de comment s’organiser et s’entendre pour nier la déstabilisation du Verbe; comment étouffer l’écho de ce cri si terrifiant qui menace la certitude rassurante, que leur avenir est illimité?


Sade, peut-être, se compare à Céline, victime de son temps et de ses délires embastillés… Charanton et autres maisons de fous jusqu’à sa mort. Sade, pareil à Céline… « d’une prison l’autre ». Vingt ans à hurler contre l’incompréhension des hommes et l’injustice de sa condition de génie de la langue contre le Verbe. Ses livres, pendant 150 ans étouffés sous un silence de plomb… puis, soudain, la Pléiade par obligation, comme un remord, mais Sade demeure haï et incompris par la plupart.


Il a drôlement secoué l’inertie de son siècle à terrifier autant les pouvoirs en place qu’avec les révolutionnaires, qu’il dépassait de plusieurs têtes… pareil à Céline avec ses socialismes, ses fascistes et ses communistes, seul contre tous, sans étiquettes sinon ce souffle commun, attaquant le Verbe. Des visionnaires qui avaient parfaitement senti l’incontournable finalité de la mort et du désespoir.


Pierre Lalanne


Ajouter une image

vendredi 29 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et les communistes

Dès la publication du « Voyage au bout de la nuit », les communistes se sont méfiés de Louis-Ferdinand Céline. Dans une critique de « l’Humanité », Paul Nizan, tout en admettant la puissance et la profondeur évocatrice de l’écriture, conclut sa critique en spécifiant : « Céline n’est pas des nôtres ». Dans un autre texte, Trotski espère que les prochains livres permettront à Céline de sortir de sa nuit et découvrir la lumière apportée par l’espoir de la révolution.


Les communistes accusent Céline d’anarchisme virulent et d’entretenir un profond mépris pour le peuple. Dès lors, il est considéré comme suspect et demeure sous stricte surveillance. Avec « Mort à crédit », il n’y a plus de doute possible. L’ensemble des critiques supporte mal qu’un écrivain leur échappe, le génie fait mal paraître, alors ils se déchaînent et tentent de remettre l’auteur du Voyage à leur niveau.


De leur côté, les staliniens n’ont encore rien vu, la déferlante célinienne sera encore plus époustouflante que son pessimisme lattant et sa pseudo vulgarité.


Avec la publication de ses impressions de son voyage au « pays des soviets », Céline devient réellement la bête noire des communistes, l’homme à abattre. Court et concis, « Mea culpa » demeure un pamphlet dévastateur, qui n’a rien de délirant. Pour les écrivains français, le stage culturel et la vénération envers la révolution mondiale est un passage obligé, mais pas pour Céline.


Il ne peut rester silencieux devant l’hypocrisie de ses chers confrères qui reviennent tous enchantés et éblouis du paradis soviétique. Céline est trop intense et sensible à la souffrance pour se taire ou encenser un régime encore plus meurtrier que celui des Tsars. Pour les communistes français, Céline confirme sa véritable nature de contre-révolutionnaire, et les insultes envers les maîtres du kremlin ne peuvent rester impunies, tôt ou tard, il devra payer.


« Bagatelles… » les juifs, bien sûr, mais les communistes écopent également et durement. Plus tard, « Les beaux draps » et « l’École…» viendront servir de prétexte à la consolidation de l’influence des communistes sur les perceptions de l’opinion publique concernant la pensée et les actions de Céline. Un vieux piège rouillé, mais terriblement efficace l’attend dans le royaume du Danemark.


Sans vraiment le réaliser, les communistes tenaient le bon filon et ne le lâcheront le condamné qu’avec douze balles dans la peau ou, moindre mal, le bagne à perpet… Qui sait, en prison, les accidents sont fréquents. Tôt ou tard, Céline devra payer pour ses saloperies envers le prolétariat et ces vérités sur le régime, qu’il eut valu mieux taire à tout jamais.


Comme toujours, avec les communistes, l’affaire sera menée avec la discipline et l’obéissance aveugle propre aux membres du Parti. En attendant, guettant l’instant où mordre, les chiens rongent les os des autres victimes, purges, famines, trahison, l’appétit du petit père des peuples est insatiable.


Lors de l’invasion allemande du territoire soviétique, les communistes français oublient aussitôt le pacte germano-soviétique, relèvent la tête et enterrent leur liaison avec les nazis. Les alliés d’hier entrent en résistance contre la bête fasciste qu’il importe maintenant abattre au nom de la liberté et de la dignité humaine.


Stalingrad marque le symbole du retournement, la résistance française, sous l’impulsion des communistes s’organise et constitue une force sur laquelle il faut compter. Par ailleurs, ils comptent bien régler leurs comptes envers ces collabos et tous les autres sympathisants… À leur tour, ils devront souffrir et se guérir à la médecine stalinienne de la résistance.


Bien sûr, Céline est inscrit sur la liste noire, mais non pas, comme le veut la légende, pour ses écrits antisémites, mais bien pour ses romans et surtout ses positions anticommunistes clairement élaborées dans « Mea culpa » et dans « Bagatelles pour un massacre ». Déjà, il reçoit de jolis petits cercueils qui le préviennent que son tour approche.


En juin 44, Céline sait depuis longtemps qu’il sera aux premières loges du spectacle, le premier à monter sur scène lorsque les bandes de libérateurs se répandront dans les rues de Paris. Aucune chance! Aussitôt pris aussitôt fusillé et sans procès, comme des milliers d’autres. Les purges, l’épuration, les règlements de compte, de gauche ou de droite, ne font jamais dans la dentelle; la hargne et le désir de vengeance sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif et dissimulé dans des articles de loi.


Peut-on reprocher à Céline d’avoir voulu sauver sa peau?


Il n’a pas le choix et prend le large, la traversée du Reich, Baden-Baden, Sigmaringen, la dévastation jusqu’au Danemark donneront à la littérature et à l’histoire les chefs-d'œuvre de la trilogie allemande.


Il est donc erroné de croire qu’il fuit devant les Anglo-américains. Rappelons que le massacre des juifs n’est alors connu qu’en haut lieu et qu’il n’est nullement question de génocide, mais de millions de déportés enrôlés dans le travail obligatoire ou enfermés dans des camps. La question juive est secondaire dans les préoccupations des alliés; on s’en avisera plus tard et cela servira fort bien en tant qu’outil de propagande afin de bien asseoir la victoire. En 1944-45, les juifs ne comptent pas.


Pour la petite histoire, on se rappellera que Staline stoppa son offensive aux portes de Varsovie afin de donner la chance aux nazis de terminer le nettoyage du ghetto; l’offensive reprit dès le boulot achevé… Staline et Hitler : même combat, même désir d’élimination… De leur côté, les alliés ne chôment pas, libèrent la France, bombardent et détruisent méthodiquement les villes allemandes avec des centaines de milliers victimes civiles allemandes qui, eux, n’entrent dans aucune catégorie de statistiques ou de crimes de guerre.


Ce n’est qu’après, lorsque les chambres à gaz seront du domaine public qu’on se rappellera véritablement les pamphlets de Céline et ils serviront pour tenter d’étoffer un dossier d’accusation de collaboration et de trahison complètement vide. Céline n’a jamais trahi. Céline n’a jamais collaboré. Peu importe, l’hallali est en marche, l’écrivain est coupable de l’extermination des juifs en France et ailleurs. L’occasion est trop belle, les communistes associent aussitôt ses délires littéraires aux camps de la mort… mais la vérité est plus complexe, toujours


Lorsque Céline raconte que ses « ennuis » ne proviennent pas de ses écrits antisémites, mais de bien plus loin, du Voyage, il ne s’agit pas de paroles en l’air pour évacuer ses pamphlets. Il comprend que son grand malheur fut de refuser de se rallier à un courant ou à un autre… surtout au courant des soi-disant progressistes.


Au Danemark, les communistes prendront le relais de leurs collègues français, le dénoncent et exigent des autorités d’emprisonner ce nazi et de le livrer aux bourreaux qui attendent depuis si longtemps. Heureusement, des amis demeurent, et même s’il est emprisonné, ils parviendront à empêcher son extradition. Il est hors de tout doute que le Danemark, en refusant d’extrader Céline, l’a véritablement sauvé.


Sous la pression des communistes, la France aurait assassiné froidement son plus grand écrivain.


Pierre Lalanne

jeudi 21 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et les idéologies

La fascination envers Céline est telle, que l’écrivain et ses écrits furent et sont encore utilisés par toutes les catégories politico n’importe quoi; les uns le portent aux nues et les autres le vouent à l’échafaud; certains le citent; le dénaturent; le pillent; la plupart voudraient qu’il ne fût jamais né.


Il est catalogué selon l’époque et les courants qui s’affrontent. Céline fut, à un moment ou à un autre, acclamé par les communistes, les socialistes, les anarchistes, les chrétiens, les fascistes, les pacifistes, les athées, les racistes, les antisémites, les collabos, les païens, les Celtes, les indépendantistes, les elfes et les Vikings… Interchangeable, Céline a bon dos, il est présenté à toutes les sauces et poussé sous la bannière de tous les combats.


Docile et manipulable, il aurait été davantage apprécié, car, maldonne pour les agitateurs, il ne s’en réclame d'aucuns. Céline mène seul sa barque, il sent le vent et donne le coup de barre selon la course des nuages et les humeurs du temps, ce qui n’empêche pas les erreurs de navigations.


Seul sur son navire, il n’est pas pour autant hors de son temps, il vit et subit l’influence de son milieu au même titre que chacun d’entre nous. Par contre, il est plus critique, curieux et plus lucide que la majorité d’entre nous, il a cherché une explication, un dénominateur commun, une manière d’émerger d’un marécage putride avant de se laisse tenter par l’excitation politique. Il a cru avoir trouvé une clé, mais, très rapidement, las de l’incurie, il s’insurge, abandonne, retourne à sa littérature et attend le raz-de-marée.


Il se rend compte que les idéologies, sont des concepts montés en neige par des maîtres avides de pouvoir, tours de Babel doctrinaires et sectaires, semblables à toutes les religions avec leurs curés, leurs vérités, leurs rites et toutes sont imbues d’une même utopie: celle de la fin de l’Histoire et les promesses de bonheur universel.


Après sa mise au ban, il illustra fort bien son amertume en décrétant que les bibliothèques sont remplies d’idées, les encyclopédies, les universités et que toute cette somme de stupidité est d’une banalité soporifique, seule la manière de les présenter en fait l’originalité; le style est plus grand que l’idée; le style est raffiné et l’idée… vulgaire.


Il a appris de ses expériences, car, comme tant d’autres, Il a été, dans le contexte politique de l’avant-guerre, rassuré par la détermination allemande à vouloir créer une Europe nouvelle et unie devant les menaces à venir, et ce, en réaction à l’atavisme des « démocraties ». Pour beaucoup, l’Allemagne constitue alors le seul rempart valable contre cette nouvelle tempête en formation qui pousse les États vers une autre guerre qui sera encore plus terrible que la grande boucherie de 14. Quant aux soviets, son voyage en URSS lui a dévoilé la réalité de l’avenir radieux en devenir.


Devant la menace du déferlement, Céline a osé « croire » et dire qu’Hitler était le mieux placé pour empêcher la catastrophe… Pourquoi pas? Est-il immoral de prendre tous les moyens pour éviter ce que l’on croit être la pire des calamités tout en ignorant l’avenir? Les idéologues de notre époque, gonflés d’orgueil et de suffisance, se sont-ils déjà interrogés sur la profondeur de leur propre éthique? Même Staline, si méfiant, si sournois, a fait confiance à Hitler. Et nous! Nous, le bon peuple aspergé de conscience et de tolérance, qu’aurions-nous fait? Bien sûr, soixante-dix ans après les évènements, tous aurions marché au pas sur Berlin, c’est la seule réponse possible afin d’éviter les rappels à l’ordre.


Pourtant, Céline a rapidement compris qu’entre les deux clowns, celui de Brandebourg ou de la Loubianka, la différence est minime et que massacre pour massacre, Goulag pour Auschwitz, la finalité demeure la même. Combien de morts au Goulag, dans les purges staliniennes? Quinze! Vingt! Vingt-cinq millions? Personne ne le sait et tous s’en fichent éperdument. Jamais un dirigeant ou homme de main ne fut poursuivi devant un tribunal pour crimes contre l’humanité…passons. Il n’est toujours pas de mise de nos jours d’aborder de telles questions, de lever la main, de comparer, de s’inquiéter, de ne pas comprendre, Katyn! Un détail, certes… 10 000 morts sur 50 millions… les chiffres en colonnes de zéros ne veulent rien dire; les chiffres sont idéologiques, toujours… Inutile de comprendre, il faut croire.


Ainsi, pour Céline, l’Europe ne pouvait plus échapper au naufrage, l’Allemagne avait trahi sa révolution. Stalingrad devient le point de non-retour, les hordes de libérateurs bolchéviques emporteront le continent. Les nazis balayés et, à Yalta, Staline en grand vainqueur, celui qui a payé du sang de son peuple, ramasse le butin, à son tour il va piller, nettoyer et s’approprier les pays libérés par l’Armée rouge.


Quant à l’Europe de l’Ouest, en ruine, elle s’incline et demande protection, offre sa vassalité aux Anglo-américains.


Il préférait l’Europe à l’Amérique, là se trouve une partie de son crime. Il a cru à une ultime possibilité, se jeter à la tout va, brûler ses derniers navires, offrir la dernière folie pour sauver l’Europe du naufrage, d’où l’écriture des pamphlets dans un délire mythique. Peut-être se voyait-il comme un dernier païen, le dernier résistant, devant la violence des chrétiens, renversant les idoles et abattant les arbres sacrés. Céline a compris trop tard l’irréversibilité de l’Histoire, l’ordre de marche des sociétés en mouvance constante.


Aujourd’hui, il rigolerait de voir l’aboutissement de son XXe siècle et serait même surpris d’avoir tout pressenti si exactement, l’émergence des nouveaux mensonges masquant les profondes contradictions de notre pseudo pluralisme démocratique où, les nouvelles valeurs fondamentales de tolérance, de droit et de nivellement politique ne font que masquer une profonde incertitude sociale quant à l’illusion concernant la réalité de nos principes de liberté, d’égalité et de droit, dont les fondements sont uniquement basés sur le mensonge et l’injustice et, tout cela, afin que jamais ne resurgissent les anciens démons.


Alors, ses chimères, les Chinois à Cognac, les Soviets sur les Champs Élysées, l’Amérique et « l’esprit juif », le métissage sont pour Céline l’expression d’une France parvenue à la croisée des chemins. Les preuves de sa décadence et de sa fin dans l’abêtissement de la culture, dans la publicité en tant qu’art, la télévision en machine à laver les cerveaux et la superficialité de la littérature sous la marque de Françoise Sagan; une France sans saveur et sans odeurs qui s’acharne à creuser sa tombe autour de son nombril en se drapant des couleurs d’une Amérique impériale.


Il juge. Il dénonce. Il s’emporte. Il écrit et exagère toujours en se noyant dans les excès de propres à son génie. Il sait que l’avenir n’appartient plus à sa patrie qu’il aime tant et que tout le reste est du blabla et du bourre mou. En fait, si Céline peut se réclamer d’une idéologie quelconque, c’est celle de l’apocalypse, celle du cataclysme intégral, de la grande finale, celle de son monde dont il est le seul à avoir compris, prédit et décrit les derniers soubresauts; la seule fin possible lui permettant de s’offrir l’envergure nécessaire à la magnificence de son style.


Céline n’est pas raciste dans le sens propre du terme, l’infériorité et la supériorité en fonction de la race ne le concernent pas, il connaît trop bien l’humain pour tomber dans ce piège; l’humain est une ordure quelque soit la couleur de sa peau. Il pressentait les dangers propres à notre temps la globalisation, l’uniformisation, la fin des particularismes et la disparition de sa France avec laquelle il a grandi et pour laquelle il a versé son sang.


Pierre Lalanne