vendredi 29 mai 2009

Louis-Ferdinand Céline et les communistes

Dès la publication du « Voyage au bout de la nuit », les communistes se sont méfiés de Louis-Ferdinand Céline. Dans une critique de « l’Humanité », Paul Nizan, tout en admettant la puissance et la profondeur évocatrice de l’écriture, conclut sa critique en spécifiant : « Céline n’est pas des nôtres ». Dans un autre texte, Trotski espère que les prochains livres permettront à Céline de sortir de sa nuit et découvrir la lumière apportée par l’espoir de la révolution.


Les communistes accusent Céline d’anarchisme virulent et d’entretenir un profond mépris pour le peuple. Dès lors, il est considéré comme suspect et demeure sous stricte surveillance. Avec « Mort à crédit », il n’y a plus de doute possible. L’ensemble des critiques supporte mal qu’un écrivain leur échappe, le génie fait mal paraître, alors ils se déchaînent et tentent de remettre l’auteur du Voyage à leur niveau.


De leur côté, les staliniens n’ont encore rien vu, la déferlante célinienne sera encore plus époustouflante que son pessimisme lattant et sa pseudo vulgarité.


Avec la publication de ses impressions de son voyage au « pays des soviets », Céline devient réellement la bête noire des communistes, l’homme à abattre. Court et concis, « Mea culpa » demeure un pamphlet dévastateur, qui n’a rien de délirant. Pour les écrivains français, le stage culturel et la vénération envers la révolution mondiale est un passage obligé, mais pas pour Céline.


Il ne peut rester silencieux devant l’hypocrisie de ses chers confrères qui reviennent tous enchantés et éblouis du paradis soviétique. Céline est trop intense et sensible à la souffrance pour se taire ou encenser un régime encore plus meurtrier que celui des Tsars. Pour les communistes français, Céline confirme sa véritable nature de contre-révolutionnaire, et les insultes envers les maîtres du kremlin ne peuvent rester impunies, tôt ou tard, il devra payer.


« Bagatelles… » les juifs, bien sûr, mais les communistes écopent également et durement. Plus tard, « Les beaux draps » et « l’École…» viendront servir de prétexte à la consolidation de l’influence des communistes sur les perceptions de l’opinion publique concernant la pensée et les actions de Céline. Un vieux piège rouillé, mais terriblement efficace l’attend dans le royaume du Danemark.


Sans vraiment le réaliser, les communistes tenaient le bon filon et ne le lâcheront le condamné qu’avec douze balles dans la peau ou, moindre mal, le bagne à perpet… Qui sait, en prison, les accidents sont fréquents. Tôt ou tard, Céline devra payer pour ses saloperies envers le prolétariat et ces vérités sur le régime, qu’il eut valu mieux taire à tout jamais.


Comme toujours, avec les communistes, l’affaire sera menée avec la discipline et l’obéissance aveugle propre aux membres du Parti. En attendant, guettant l’instant où mordre, les chiens rongent les os des autres victimes, purges, famines, trahison, l’appétit du petit père des peuples est insatiable.


Lors de l’invasion allemande du territoire soviétique, les communistes français oublient aussitôt le pacte germano-soviétique, relèvent la tête et enterrent leur liaison avec les nazis. Les alliés d’hier entrent en résistance contre la bête fasciste qu’il importe maintenant abattre au nom de la liberté et de la dignité humaine.


Stalingrad marque le symbole du retournement, la résistance française, sous l’impulsion des communistes s’organise et constitue une force sur laquelle il faut compter. Par ailleurs, ils comptent bien régler leurs comptes envers ces collabos et tous les autres sympathisants… À leur tour, ils devront souffrir et se guérir à la médecine stalinienne de la résistance.


Bien sûr, Céline est inscrit sur la liste noire, mais non pas, comme le veut la légende, pour ses écrits antisémites, mais bien pour ses romans et surtout ses positions anticommunistes clairement élaborées dans « Mea culpa » et dans « Bagatelles pour un massacre ». Déjà, il reçoit de jolis petits cercueils qui le préviennent que son tour approche.


En juin 44, Céline sait depuis longtemps qu’il sera aux premières loges du spectacle, le premier à monter sur scène lorsque les bandes de libérateurs se répandront dans les rues de Paris. Aucune chance! Aussitôt pris aussitôt fusillé et sans procès, comme des milliers d’autres. Les purges, l’épuration, les règlements de compte, de gauche ou de droite, ne font jamais dans la dentelle; la hargne et le désir de vengeance sont profondément ancrés dans l’imaginaire collectif et dissimulé dans des articles de loi.


Peut-on reprocher à Céline d’avoir voulu sauver sa peau?


Il n’a pas le choix et prend le large, la traversée du Reich, Baden-Baden, Sigmaringen, la dévastation jusqu’au Danemark donneront à la littérature et à l’histoire les chefs-d'œuvre de la trilogie allemande.


Il est donc erroné de croire qu’il fuit devant les Anglo-américains. Rappelons que le massacre des juifs n’est alors connu qu’en haut lieu et qu’il n’est nullement question de génocide, mais de millions de déportés enrôlés dans le travail obligatoire ou enfermés dans des camps. La question juive est secondaire dans les préoccupations des alliés; on s’en avisera plus tard et cela servira fort bien en tant qu’outil de propagande afin de bien asseoir la victoire. En 1944-45, les juifs ne comptent pas.


Pour la petite histoire, on se rappellera que Staline stoppa son offensive aux portes de Varsovie afin de donner la chance aux nazis de terminer le nettoyage du ghetto; l’offensive reprit dès le boulot achevé… Staline et Hitler : même combat, même désir d’élimination… De leur côté, les alliés ne chôment pas, libèrent la France, bombardent et détruisent méthodiquement les villes allemandes avec des centaines de milliers victimes civiles allemandes qui, eux, n’entrent dans aucune catégorie de statistiques ou de crimes de guerre.


Ce n’est qu’après, lorsque les chambres à gaz seront du domaine public qu’on se rappellera véritablement les pamphlets de Céline et ils serviront pour tenter d’étoffer un dossier d’accusation de collaboration et de trahison complètement vide. Céline n’a jamais trahi. Céline n’a jamais collaboré. Peu importe, l’hallali est en marche, l’écrivain est coupable de l’extermination des juifs en France et ailleurs. L’occasion est trop belle, les communistes associent aussitôt ses délires littéraires aux camps de la mort… mais la vérité est plus complexe, toujours


Lorsque Céline raconte que ses « ennuis » ne proviennent pas de ses écrits antisémites, mais de bien plus loin, du Voyage, il ne s’agit pas de paroles en l’air pour évacuer ses pamphlets. Il comprend que son grand malheur fut de refuser de se rallier à un courant ou à un autre… surtout au courant des soi-disant progressistes.


Au Danemark, les communistes prendront le relais de leurs collègues français, le dénoncent et exigent des autorités d’emprisonner ce nazi et de le livrer aux bourreaux qui attendent depuis si longtemps. Heureusement, des amis demeurent, et même s’il est emprisonné, ils parviendront à empêcher son extradition. Il est hors de tout doute que le Danemark, en refusant d’extrader Céline, l’a véritablement sauvé.


Sous la pression des communistes, la France aurait assassiné froidement son plus grand écrivain.


Pierre Lalanne

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