Les compliments, la reconnaissance, l’affirmation, tout cela reste toujours, comme en suspend et reste accroché au bout des lèvres, balbutiements et remords qui s’entremêlent et viennent se confronter avec les réserves, les avertissements, la culpabilité, l’usage. À chaque occasion, le déroulement est le même, s’excuser encore et toujours d’en parler avec, parfois, un d’enthousiasme que l’on parvient à peine à maitriser.
Les apologies sont réservées aux Nobels, ces guerriers de la paix, et autres défenseurs de la paix du capital; coquelicots, Légions d’honneur, statues de bronze, les héros suintent sous le poids d’une pauvre quincaillerie illustrant leurs sentiments et leurs certitudes envers une civilisation qui, atteindra bientôt les étoiles
Admettons, tout de même, la possibilité de faire un certain éloge de l’écrivain Céline. Longtemps, plusieurs ont cherché à nier son existence, mais, il est maintenant difficile de passer outre, son talent et sa marque sur la littérature française ébranlent encore les tours d’ivoire universitaires. En contrepartie, afin de limiter l’exception, afin de forcer les croyances en une moralité pour laquelle des millions d’humains ont trépassé, il importe de rappeler les travers de l’homme Céline, ses erreurs, ses abominations, ses relations avec le diable. Nommer le monstre, le montrer du doigt et exprimer sa réprobation, voire son dégoût. Il y a là un défoulement collectif qui s’apparente aux bonnes séances des partis communistes de la bonne époque.
Une procédure tellement ancrée dans l’ordinaire, que s’en est devenu un passage obligé, le prix à payer pour une pseudo liberté d’expression. La raison exige de la distance, entre le chercheur et son sujet. Exprimer bien haut l’objectivité du spécialiste et la prémunir contre d’éventuels critiques ou reproches, mise en garde d’une confrérie ou d’une autre, gardienne de la vérité civile, ces associations champignons, nouveaux ordres religieux au-dessus de tout soupçon, qui veillent au grain, inquisiteurs de la modernité, à l’affût de la moindre virgule un peu trop volage.
Tellement ancré, que même les plus farouches partisans du Maudit, n’échappent pas à la règle, un préalable, une nécessité intellectuelle à la reconnaissance de leur savoir. Pouvons-nous, vraiment, les blâmer? Ont-ils le choix d’agir ainsi et de se soumettre aux usages, s’ils ne veulent demeurer éternellement anonymes, isolés avec des idées dangereuses qui bouillonnent au milieu d’une foule hurlante, prêt à lyncher n’importe qui et au moindre commandement, aboiement des maîtres, convaincus de leur vérité? Pas vraiment, avouons-le. Ici, les règles écrites sont inutiles, le non-dit, l’autocensure et les traditions suffisent, ils pèsent lourd, à gauche comme à droite.
Des exemples! Oh! Il en a des cents et des milles, laissons tomber les plus abjectes, où la haine du puriste rime avec style. Contentons-nous des petites dénonciations mesquines, allusions sans façon, avertissements doctrinaux, du pas grand-chose; souvent, du presque rien, un mot, une phrase anodine, comme ça, mine de rien. Il y en a des centaines de cas, qui se ressemblent, se chevauchent et se multiplient à l’infini; un livre entier de citations à répertorier pour bien s’assurer que le monstre restera dans son cercueil de plomb.
Jamais nous n’avons vu autant de parti-pris envers un écrivain, une véritable chasse aux sorcières une véritable «École des cadavres». Prenons seulement le catalogue de la collection la Pléiade, la présentation des œuvres de Céline… «…une des grandes œuvre de son temps, quoi qu’il y ait d’autre part à reprocher à son auteur» (La pléiade, Catalogue 2009 p.29). C’est bien peu, une bagatelle, un léger reproche, mais c’est tout de même pernicieux. Reproche-t-on le Goulag à Aragon? Dans le même catalogue : «…(Aragon) fut de toutes les aventures littéraires et politiques du siècle.» (P11). Allons donc, avouons que c’est très joli… l’aventure du siècle pour le poète communiste et les reproches pour Céline, le raciste…».
Dans le magnifique volume : «Lettres», publié également à la Pléiade, une lettre à Célie Ambor (juive) datée de décembre 1933 où Céline cherche à la rassurer sur les intentions des nouveaux maîtres de l’Allemagne : «Les juifs sont un peu menacés, mais seulement très peu» (p. 408). La note, qui accompagne cette phrase est : «après s’être au début de l’année inquiété pour ses amies juives d’Europe centrale, Céline se veut rassurant, d’une phrase que nous ne pouvons aujourd’hui que juger sidérante» (lettre 33-108 note1 p.1 679).
Une lettre écrite à peine dix mois après l’installation au pouvoir des nazis et plus de dix ans avant les camps de la mort, étrange comme note, un rappel inutile dont on se serait facilement passé. Il semble pour le moins exagéré, dans cette lettre, de qualifier les propos de Céline de «sidérants». C’est, encore une fois, une habitude, une obligation, autocensure, toujours de juger en fonction d’aujourd’hui. C’est comme si Céline cherchait à rassurer son interlocutrice, afin qu’elle attende tranquillement l’accélération de la persécution contre tous les juifs d’Allemagne. L’intention n’y est peut-être pas, mais le résultat est… sidérant! À qui d’autre qu’à Céline, en France, en décembre 1933, pourrait-ton aujourd’hui reprocher une telle phrase?
Ferait-on cette précision dans le cas d’un autre écrivain pour des propos aussi pauvres, Il ne s’agit pas d’évacuer l’antisémitisme de Céline, mais de le replacer dans sa juste perspective et, surtout, de démontrer qu’on ne peut pas écrire librement sur Céline, que le moindre article, le moindre propos nous ramène à une forme des plus sordide d’auto censure.
Un dernier exemple, tellement banal, tellement minable que nous le lisons sans s’arrêter, sans y penser… c’est du compliment bonbon où, soudain, on enfonce le pieu bien profond afin de s’assurer que le vampire tombera en poussière. Ce genre de réflexions est si courant, que l’on va s’étonner de trouver un pauvre bloggeur pour le dénoncer:
«Cinquante ans après sa mort, Louis Ferdinand Céline reste l’une des figures emblématiques de la littérature du XXe siècle. Pourtant, l’immense et durable succès de Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit ne saurait faire oublier l’autre visage de Céline: celui d’un écrivain infréquentable, notamment auteur de trois pamphlets antisémites. C’est ce personnage insaisissable, génial et abject, résumant à lui seul les contradictions de son temps et du nôtre…»
Peu importe la provenance et l’auteur de ce texte, ce genre est monnaie courante, l’exemple de l’automatisme, on l’écrit sans y penser, l’auteur prend soins de mettre sa ceinture et une paire de bretelles. Ainsi, on réduit les risques de se voir coller un blâme, un éditorial ou un article en guise d’avertissement. Omettre l’immondice et le dégoût, laissent supposer une orientation politique suspecte et, épouser l’idéologie de celui qu’on admire en secret.
Il vaut mieux toujours prévenir, se démarquer, se vacciner contre la contagion en se campant parfaitement dans l’opinion générale. De cette manière, le pauvre lecteur fragile et naïf est prévenu, malgré le génie, il s’avance quand même dans le fumier et risque de s’y affaler à la moindre inattention, au moindre rire.
Finalement, en y songeant bien, l’antisémitisme de Céline n’est-il pas avant tout un problème entre lui et sa conscience et ne nous concerne en rien? Qui somme-nous donc pour le juger ainsi, nous dresser vêtu d’une soutane et faire la morale en se donnant en exemple? Pourtant, la manière dont la société traite les siens n’a rien pour nous donner l’occasion de s’élever en sainteté.
Le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie sont devenus des crimes affreux inscrits dans les chartres et les constitutions. Ainsi, la civilisation peut se donner bonne conscience envers ses véritables travers, l’injustice, la pauvreté, les inégalités, la sauvagerie du libéralisme, les richesses indécentes d’une minuscule minorité avide de pouvoir et de privilèges. Ces abominations, considérées comme normales, n’ont rien à voir avec les libertés vantées par nos démocraties; c’est utopiste de dénoncer le «racisme» économique. La liberté est dans la contrainte, ce grand paradoxe de la pensée correcte; il ne peut y avoir de liberté sans lois, sans règlements, sans coercition, sans exploitation; bref, la liberté c’est la répression… «La liberté c’est l’esclavage!»
«Le racisme de Céline n’est pas un racisme de chicane, d’orgueil à vide, de ragots, mais un racisme d’exaltation, de perfection, de grandeur, une poétisation de l’ordre politique et sociale afin que les hommes-robots retrouvent des enthousiasmes qu’ils ont perdus.» Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline, Jacqueline Morand-Deviller éditions Écritures, P.105
Le riche n’a-t-il pas toujours été raciste envers le pauvre, le curé envers la femme, le citadin envers le paysan, le fort envers le faible, le travailleur envers le fonctionnaire? Alors, raciste Céline? Raciste envers l’hypocrisie et la supériorité des uns envers les autres; envers un monde satisfait qui se glorifie des guerres menées au nom de ses chimères.
Pierre Lalanne
Encore un petit bonheur que de vous lire.
RépondreSupprimerJe pense cependant que vous omettez l'aspect mercenaire du verbe de Céline dans sa démarche politique, de pouvoir... ses pamphlets ne sont pas seulement une rage antisémite, il a donné une foule d'informations qui donnent le vertige. Je pense que c'est surtout ça qui dérange, non pas en tant qu'information seulement certes, mais parce que c'est amené avec une grâce littéraire, un registre populaire poussé à son paroxysme qualitatif, avec une liberté de ton aussi irrémédiable que la trajectoire d'une comète ! le tout d'un comique hilarant, vomitif ! et que les juifs ne sont pas les seuls pointés dans les pamphlets, que même sa race "française" en prend pour son grade avec parfois un dégoût, un mépris équivalent à sa haine des juifs... tout le monde en prend pour sa merde ! artistes, journaleux, universitaires, le peuple, la gauche, la droite, les monsieurs Jourdain de Province, les petits politicards, les chrétiens, les nègres... Donc c'est son coup de burin tonitruant, dingue, contre les arcanes cachées des idéologies, par des informations terrifiantes énoncées par lui, qui en font un auteur criminel contre son époque, puisqu'une époque est surtout un avatar d'un pouvoir. Et tant que ces idéologies de "liberté" sont encore à l'oeuvre, au pouvoir, Céline est le diable ! c'est ça, le pouvoir, qui donne la trouille d'en parler de Céline.
Il n'a pas fait du journalisme froid, il a fait baigner sa haine dans des eaux innocentes, presque infantiles, un désir d'esthétique et de justice qui rendent ces informations insupportables !
Je ne pense pas qu'il voulait l'extermination des juifs mais il voulait que lui et les "siens" retrouvent leur celtitude, qui selon lui s'est déjà judaïsée par le christianisme.
Voici la lettre de Céline qui à mon avis est la plus révélatrice de sa relation aux juifs :
"Notre civilisation est juive, nous sommes tous des sous-Juifs. A bas les Juifs ne veut rien dire. C'est Vive quelque chose qu'il faudrait pouvoir dire, mais vive quoi ? Les Druides ? Hélas oui ! des néo-druides aussi différents de nous que furent les chrétiens des païens : il faut des hommes nouveaux."
Merci,
RépondreSupprimerVous avez tout raison, le racisme de Céline déborde amplemant son "antisémitisme", lorsqu'il parle de "l'esprit juif" c'est toute la philosophie dénaturée de la, de notre société qu'il dénonce avec la toute puissance de son verbe, sans concession, sachant qu'il déborde au point où on ne lui pardonnera jamais.
Blog et articles admirables à propos d'un écrivain fascinant.
RépondreSupprimerJe tiens à apporter une précision (pas un bémol n'est ce pas...).
La Nuit de Cristal a eu lieu en novembre 1933. Soit "à peine neuf mois après l'installation au pouvoir des nazis". Peut être qu'avec cette date en tête la réassurance de Céline revêt un aspect un peu plus "sidérant".
Merci pour ces articles.
Bien à vous.
MS