
Il faut pourtant bien en dire un mot de cette commémoration Républicaine 2011; commémoration se voulant un rappel de ces hommes qui par leurs actions et leurs valeurs morales firent la grandeur de la France. Faut bien le dire, la cuvée est ratée, imbuvable, la suite n’a pas tardé... ordre du Très-Haut et tombe le couperet de la censure avec pour résultat, le recueil au pilon.
Une fois de plus, Céline est effacé des listes officielles, le 50e anniversaire de sa mort sera «pour une autre fois», comme si par ce geste absurde, l’État se lavait les mains de ses propres responsabilités historiques. Pourtant, ils sont convaincus que l’honneur de la nation est sauf. Toujours, cette justification de l’injustifiable par leurs dogmes érigés en mensonge et en flagornerie… mais, passons, de tous leurs efforts, il ne restera que la mesquinerie de leurs actions et la pauvreté de leurs arguments.
Ne soyons tout de même pas trop naïf, ni béat d’étonnement, faut-il vraiment jouer la surprise? Ce n’est pas la première fois qu’on évacue ainsi Céline de la légalité démocratique. On l’expulse même des chiottes des musées, alors l’effacer d’un recueil officiel de l’État, il n’y a qu’un pas… «D’un cabinet l’autre», pourrait-on dire. Puis, ils refusent d’homologuer sa dernière résidence, d’apposer des plaques commémoratives, de nommer un lycée, une rue, une ruelle, un ruisseau… la liste est longue.
Imaginez le tableau! Le rêve de tous les censeurs, le Céline fait homme, n’existe nulle part dans les documents officiels. Nous sommes toujours au bon vieux temps des Soviets où pour défendre leurs valeurs morales de la révolution, ils biffaient des photos officielles tous les indésirables, les traîtres, les réactionnaires. Les inquisiteurs de la pensée ont de beaux jours devant eux, le vent en poupe.
Ce scandale rappel étrangement celui du Goncourt 32… On évacue Céline à la dernière minute, en catastrophe. Vite! Vite! Il faut protéger le peuple de ses mauvaises fréquentations, des influences néfastes et renforcer les piliers de la morale. Qui se souvient du gagnant du Goncourt 32, «Les loups» de Guy Mazeline et qui, dans même pas cinq ans, se souviendra de ce recueil commémoratif 2011, document de 300 pages qui finira sur une tablette poussiéreuse des Archives nationales et dont personne ne reparlera jamais plus? Enfin, qui se souviendra d’un petit valet parmi tant d’autres valets, ministre au goût si cultivé pour les choses de l’art et qui a rempli sa mission de nettoyer à coups de décrets et de diktats toutes formes de pensées plus ou moins suspectes?
Seulement, pareil au Goncourt, on se souviendra longtemps du spectacle dégradant offert par une clique d’éminences grises au service d’une censure d’État, envers un écrivain jugé infréquentable par les uns et génial par les autres. Il semble bien que Céline ne puisse jamais être semblable aux communs et c’est ce qui fait sa grandeur, sa spécificité et son génie.
Tout de même! Avouons-le, ce nouveau scandale est également bien digne de Céline par son délire et sa démesure, c’est toujours beau à regarder, la féérie, la connerie des uns, l’emballement des autres et l’étonnement des naïfs. Voir gonfler la polémique, se confronter les commentaires. Ça vibre, ça gronde, ça explose sous le passage successif des bombardiers en formations, chapelet d’ordures, journaux, télé, radio, Internet; tout y passe. Les médias n’en ont plus que pour cet homme mort il y a 50 ans… lui qui s’en fout totalement des commémorations, des médailles, de l’Académie et des Nobels posthumes. Céline conserve son exclusivité dans ses chefs d’œuvre et cela nous suffit amplement.
Toutefois, jouissons un peu, le plus merveilleux de ce scandale est la quantité de nouveaux lecteurs qui s’intéresseront à Céline, les plus jeunes ceux qui n’ont pas la culpabilité collée aux fesses et peuvent aller au-delà des circonstances historiques sans s’étouffer dans leurs propres contradictions. Comment peut-il en être autrement, un État, si républicain et démocrate fût-il, censure un artiste, c’est qu’il y a certainement quelque chose d’intéressant à y découvrir. C’est que l’État a quelque chose à cacher, des intérêts à protéger. Ils seront légion à venir tâter du «Voyage…» et de «Mort à Crédit», juste pour se rendre compte par eux-mêmes.
En fait, le gouvernement et ses éminences grises ne pouvaient rendre un meilleur service à l’écrivain en procédant aussi cavalièrement. Malheureusement pour eux, le grand vainqueur est Céline, une fois de plus, il les met tous dans sa poche, jusqu’au dernier. Pire encore, nous ne sommes qu’en janvier et les festivités céliniennes, colloques, spectacles, commémorations, célébrations, effervescences se poursuivront jusqu’en décembre. Ils ne feront qu’amplifier l’importance des activités, car, Céline, par qui le scandale arrive, inspire la littérature plus que jamais. Céline nourrit et Céline fascine. Bien longtemps après nous, nos descendants se demanderont, pourquoi autant d’acharnement.
Alors, il faut être honnête et les prévenir, les censeurs, que le travail est loin d’être terminé : restez vigilant, le couteau bien appuyé sur la meule pour biffer, d’un coup sec, tout ce qui dépasse la norme. Aidons-les un peu et rappelons aux inquisiteurs que, 2012… mais oui, pas le temps de se reposer, c’est déjà pour l’an prochain... 2012, qui marquera le 80e anniversaire de la publication de «Voyage au bout de la nuit».
C’est qu’on n’en finira donc jamais avec tous ces réactionnaires qui emmerdent les bons citoyens avec leurs idées de se souvenir et de conserver sa mémoire vivante. Commissaires des peuples de tous les pays… unissez-vous! Vigilance toujours! Y a du boulot… Y a de la sueur et tout au bout, y a les honneurs, y a les récompenses, la Légion et les invitations à la grande table fraternelle de la République.
Pierre Lalanne