Ce texte se veut une réponse à des commentaires de M. Jean-François Nadeau, directeur des pages culturelles du Devoir qui, dans un article paru le samedi 29 janvier 2012,a traité cavalièrement Louis-Ferdinand Céline de parfait salaud. Il se veut également une réponse à une émission de la radio de Radio-Canada où Céline fut accusé d’être un nazi et un collabo. Inutile de préciser que cette réponse ne fut pas publiée par le journal.
Sur les ondes de la radio de Radio-Canada, à l’émission animée par madame Christiane Charrette, messieurs Christian Rioux et Jean-François Nadeau affirment un certain nombre de faits concernant Louis-Ferdinand Céline. Dans le Devoir, dont M. Nadeau est le directeur des pages culturelles, ce dernier résume sa pensée en traitant Louis-Ferdinand Céline de parfait salaud et en approuvant la censure du gouvernement de la République française pour la commémoration du 50e anniversaire de la mort de l’écrivain.
Tout en effleurant le talent et l’importance de Céline pour la littérature française, ils affirment un certain nombre de faits, d’allusions, de demi-vérités ou de demi-mensonges concernant la vie et le parcours de cet homme. L’antisémitisme de Céline est connu et contesté par personne, les pamphlets sont là pour le prouver même s’il ne s’agit pas, comme on le laisse entendre habituellement, exclusivement de textes antisémites, mais passons, c’est un autre débat.
Notons que l’expression de l’antisémitisme de Céline se situe dans une période de temps très courte et se caractérise principalement par un pacifisme indéfectible. Ce qu’il vise ultimement, c’est d’éviter un nouveau conflit semblable à celui de 14-18. Précisons que Céline y fut grièvement blessé dès le début du conflit, réformé et décoré pour acte de bravoure, en novembre 1914.
Ainsi, comme pour plusieurs de sa génération (20 ans en 1914), la guerre l’a profondément marqué et de voir se répéter, 25 ans plus tard, exactement le même scénario, la même folie guerrière étaient pour lui totalement inacceptable. Sur ce point, quelles que soient les raisons d’une guerre ou d’une autre, nous pouvons facilement nous mettre à sa place et comprendre sa violente réaction. Par ailleurs, Céline est convaincu que ce sont les puissances de l’argent qui poussent les États à la guerre. Or, à cette époque et cela depuis bien 2 000 ans, ce qui symbolise la toute-puissance de la finance est le juif; l’esprit juif, disait Céline.
Rappelons également que Louis-Ferdinand Céline n’est ni le premier, ni le seul artiste ou intellectuel antisémitiste à avoir jeté son fiel sur le peuple élu. Pensons seulement à Voltaire, Léautaud, Degas, Wagner, Dostoïevski, Aristide Bruand, Schopenhauer, Jean Genêt, Chateaubriand, et même Jean Jaurès. Ajoutons, à sa décharge, que Céline avait des amis juifs et qu’il admirait la solidarité du peuple juif.
Quant à l’admiration présumée de Céline pour Hitler, soulignons qu’avant septembre 1939, plusieurs politiciens affirmaient haut et fort leurs sentiments pour le chancelier allemand, dont le premier ministre britannique de l’époque, M. Chamberlain. Rappelons également le même respect de la part du père des Kennedy pour Hitler. Même le grand Staline, «petit père des peuples» lui qui se méfiait du monde entier, accorda sa confiance au Führer en signant le pacte de non agression germano-soviétique, participant ainsi au dépeçage de la Pologne quelques semaines à peine avant le début de la guerre.
M. Nadeau signale une photo compromettante de Céline, qui assiste à une réunion du parti nazi de M. Adrien Arcand à Montréal, en 1938. Il nous semble que le parti politique de M. Arcand n’était pas encore interdit par la loi et Céline ne s’est surtout pas adressé à la tribune puisqu’il est demeuré sagement assis au fond de la salle en curieux et en observateur. Il en faut plus pour en faire un agent de l’hitlérisme. Alors que fait-il à Montréal? Pressentant la guerre en Europe, Céline est surtout à la quête d’une terre d’accueil où l’on parle le français et non pas à la recherche d’un idéal nazi, d’un ordre nouveau comme le laisse supposer M. Nadeau, dans son entrevue avec Madame Charette.
Quelques mots sur l’accusation de collaboration avec les forces d’occupation, entre 1940 et 1944, allégation gratuite et cavalière. Pour un homme qui a soi-disant procédé à des appels au meurtre et qui se trouvait proche des nazis, ce dernier, contrairement à bien d’autres, n’a jamais occupé aucune fonction à caractère officiel. Ses contradicteurs peinent à découvrir des accusations fondées, quelques lettres aux journaux de la collaboration et c’est à peu près tout. Les autres accusations ne tiennent pas la route.
Un fait, un seul parmi d’autres, un grand ami de Céline, le breton Jacques Mourlet, médaillé par la résistance fait partie d’un réseau qui s’active à sauver des aviateurs abattus par les Allemands, dont des Canadiens. En 1941, il est arrêté par les Allemands et c’est Céline qui intervient directement auprès de ses connaissances pour le faire libérer. Mourlet put ainsi poursuivre son combat tout au long de la guerre et sauva la vie de plusieurs aviateurs. À cet effet, voir le livre : Escape, du Lieutenant Colonel James Edwin Armstrong, USAFR, Retired Spartanburg, S.C. Honoribus Press, 2000. Comme on peut le constater, rien n’est jamais simple avec Céline et ce geste vaut bien une réunion au parti fasciste d’Adrien Arcand.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le Danemark, pays où s’est réfugié Céline en 1945, a toujours refusé l’extradition demandée par le gouvernement français. En effet, selon le gouvernement danois, le dossier d’accusation se limitait à fort peu de faits concrets, une peau de chagrin. En fait, après bien des tentatives et des remises, Céline est condamné en 1951 à un an de prison et sera amnistié quelques mois plus tard. Convenons que nous sommes loin de l’article 75, passible de la peine de mort pour haute trahison. Céline n’a jamais collaboré activement. Il a frayé, côtoyé la collaboration comme la grande majorité des Français de l’époque.
Enfin, ajoutons en terminant sur cette période, que sa fuite au Danemark s’explique dans un contexte de panique et de menaces directes pour sa vie et cela l’a assurément sauvé d’une exécution sommaire. Pouvons-nous le blâmer d’avoir fui? Nous n’avons qu’à nous rappeler les quelques 100 000 victimes françaises de l’Épuration : exécutions, procès bâclés, vengeances personnelles. La France des libérateurs n’a pas été à l’abri des débordements propres à toutes les situations troubles que traversent à un moment ou à un autre, les sociétés. Il y avait là un état de guerre civile.
Il y aurait bien d’autres éléments à préciser, à situer dans le contexte de cette époque, comme le fait de reprocher à Céline ses demandes de papier à l’occupant pour la publication de ses livres. Il s’agissait alors d’une pratique courante et, certes, Céline n’est pas le seul à l’avoir fait. Pouvons-nous rappeler, sans brusquer les âmes sensibles, que Sartre fit jouer son théâtre pendant les années d’occupation et que le gratin nazi avec celui de la collaboration étaient invités aux premières de ses pièces? La légende affirme même qu’il se plaignait des interruptions de courant électrique causées par les alertes. Avouons que comme Esprit de résistance et de solidarité envers les combattants alliés, il y a mieux.
La liste noire du Comité national des écrivains (CNE) identifiait les écrivains ayant soi-disant frayé avec la collaboration. Céline, bien sûr, mais aussi Guitry, Montherlant, la liste est longue. Rappelons que ce comité était, entre autres, dirigé par Aragon le chantre officiel du parti communiste français et que ces derniers contrôlaient en grande partie les coulisses de l’épuration. Les communistes avaient beaucoup de comptes à régler avec Céline (voir Mea Culpa et Bagatelles), l’acharnement sur sa réputation de collaborateur y est d’ailleurs étroitement lié. N’oublions pas surtout pas le Goulag et son archipel, ses dizaines de millions de morts au nom du paradis communiste, mais encore une fois, c’est un autre débat.
À juste titre, Louis-Ferdinand Céline est considéré par plusieurs comme le plus grand écrivain du XXe siècle et plus encore. Il a révolutionné la littérature française en lui redonnant puissance et souffle. Il est le maître de Jean-Paul Sartre qui plaça même une citation de Céline en exergue de son premier roman «La nausée». Encore aujourd’hui, Céline représente le summum de la culture française. Il est l’écrivain français le plus traduit dans le monde, pire encore, «Voyage au bout de la nuit», a été traduit en hébreu. D’ailleurs, des juifs intelligents et cultivés l'étudient et écrivent des livres sur lui.
Censurer Louis-Ferdinand Céline ou n’importe quel autre artiste en le rayant de quelques registres officiels, comme s’il n’avait jamais existé, constitue une aberration totale et pose sérieusement des questions fondamentales sur la liberté du processus de création chez l’artiste, la liberté de penser et d’écrire. L’État n’a pas à juger ce qui est bon ou mauvais pour sa population, normalement, si elle en mesure de choisir ses représentants, elle devrait être en mesure de décider qui lire ou ne pas lire. Céline est l’un de ceux qui fait le plus rayonner la culture Française, plus que n’importe quel autre de ses compatriotes et, seulement pour cette raison, il mérite respect et admiration.
Pierre Lalanne
Mes respect à toi Pierre.
RépondreSupprimerEt à toi le pacifiste...
Loin d'accepter les conclusions d'un Nadeau, jamais je ne ferai une coupe par le travers sur l'homme et l'écrivain qui n'en conserverait que la part consommable. Céline doit être pris et compris par l'ensemble de sa vie et même si l'opus anti-sémite est une trace indélébile, je sais a contrario, contextualiser pour comprendre sans pour autant excuser. Sa part d'ombre en révèle aussi la lumière.
RépondreSupprimerMais quel acrobate de la phrase, du parlé réinventé, du mot choisi qui gicle à la gueule en plein dans la mire, pourfendeur du blabla, désosseur du convenu, un maître. L'Ecrivain du XXe siècle et du nôtre sûrement.
Il sera pour longtemps, l'entre-fesse bien assise sur le trône ; n'en déplaise à tous les bien-pensants et à l'agité du bocal aussi !
http://fatalitaseur.wordpress.com/
Cher monsieur Lalanne, vous etes magnifique, vous etes courageux. Merci.
RépondreSupprimerQuel courage, Mr Lalanne!
RépondreSupprimerCéline est l'objet d'une admiration très forte par les écrivains de la Beat Génération mais aussi par les universitaires français, dont Henri Godard, qui l'avait inscrit au programme de l'agrégation. Et c'est un plaisir de voir l'intelligence créatrice trouver un défenseur...Les esprits libres comme Henri Guillemin, ou Jean Guénot maintiennent sa présence parmi nous.
Bernanos avait pris sa défense.
Si l'on tient à mêler l'homme et l'écrivain, il faudra en passer beaucoup par les armes. Céline n'a jamais collaboré, au sens où nous l'entendons (délation précise d'un individu...) Il a pris la défense des parias...
Pour les amateurs de Céline, je signale un spectacle au théâtre du Guichet Montparnasse "Entretiens avec le Professeur Y" dans l'adaptation de Jean Rougerie du 1er mai au 28 juin 2015 - Tel : 0143278861 (me contacter pour + de précisions)
RépondreSupprimerIl est erroné de croire que c'est Céline qui a permis à Jacques Mourlet d'être libéré .Il a bien essayé mais en vain !
RépondreSupprimerV.Mourlet