vendredi 1 avril 2011

Les animaux de Louis-Ferdinand Céline (1): Bobs

La cohabitation et les relations avec les animaux sont importantes chez Céline, pour ne pas dire essentiel à son processus de création. Cet état d’âme se confirme avec les années d’occupation et se cristallise à partir des années d’exil; l'année où Céline quitte la France, accompagné de Lucette et de Bébert, qui deviendra «le chat le plus célèbre de la littérature française». Dans la trilogie allemande, Bébert fait figure de héros mythologique, il devient un personnage charnière qui humanise l’incroyable démesure de la folie humaine.

La présence de Bébert ramène l’homme au niveau de l’essentiel, du vivant et de la beauté au milieu de l’horreur ambiante. Bébert, demeure toujours stoïque, survole la mort de son regard de chat, créature surnaturelle, bien enfoui dans la gibecière que Céline le pèlerin porte en bandoulière, comme un talisman sur ses canadiennes sales et trouées.

Bébert n’appartient pas véritablement au monde, le chat traverse l’Allemagne en spectateur sans jamais chercher à fuir, émettre une plainte, se situant volontairement à part, indépendant face à des évènements qu’il ne comprend pas. D’ailleurs, la plupart des humains ne comprennent pas la guerre, ils se contentent de suivre le flot de feu et de sang.

Il dégage la noblesse, la certitude et la hauteur propre à sa race, snob et libre comme seul un chat peut le montrer. Il est le seul personnage de Sigmaringen à pouvoir approcher Pétain à sa convenance, sans que celui-ci s’en formalise; errer dans le château à la quête de quelques fantômes, pendant que Lucette s’exerce à la danse. Bébert est le maître du terrain, explore, fouine, renifle, mais revient toujours au moment opportun; au moment où il faut partir.

Jusqu’au Danemark où l’attend la prison pour 18 mois, Lucette et, en cachette, Bébert, avec la complicité d’un gardien francophile, visitent l’oiseau enfin en cage. C’est avec l’installation à Korsør que nous assistons à une transformation importante dans la relation de Céline avec les animaux. Les lieux sont propices aux bêtes, la forêt, la proximité de la mer, les maisons d’été et d’hiver où habitent les Destouches deviennent rapidement des lieux de rencontre, des refuges. Céline recueille Bessy, berger allemand à demi sauvage, abandonné par les troupes qui retournent en leurs terres et d’autres chats, aussi de petites bêtes, hérissons et oiseaux des alentours comprennent rapidement qu’ils ne manqueront jamais de rien, la nourriture abonde, pain, graines et, même de la viande, Lucette et Céline y veillent.

Dans son introduction au livre d’Éric Mazet et Pierre Pécastaing, «Images d’exil» aux Éditions du Lérot, Claude Dunneton décrit superbement Céline en Saint-François-D'Assise

«Céline et Lucette, la providence des moineaux, des pies, des freux et des mouettes! (…) Ils avaient donc tendu des cordages par amour, entre les arbres de Skovly, pour accrocher des paniers pleins de miettes et de graines. Dix miches par semaine qu’ils prenaient au boulanger en tournée. Et pas que du pain, de la viande aussi! … Ça s’était dit chez les volatiles, répercutés en sifflet dans la forêt domaniale – les chers duveteux accouraient de partout au festin. «On vit à Korsor, pendant les années Céline, un nombre incalculable d’oiseaux de toutes sortes», disent les auteurs. Des espèces «dont beaucoup étaient inconnus aux autres habitants du lieu». Le mot avait fait le tour des îles, sans doute, et même de très loin : des aigles venaient chercher pitance, de grands rapaces de Norvège qui se sédentarisaient pour profiter de la bidoche offerte… C’est tout de même un touchant exploit : ce côté Saint-François d’Assise devrait plaire aux écoliers d’à présent (…) «Jamais, ni avant ni après, on a vu autant d’oiseaux à Klarskovgaard que du temps de Céline et Lucette», rapporte un témoin. (p.8-9)

Au retour en France, ils ramènent le vénérable Bébert maître de la communauté, Bessy et Haricot. Ils s’installent à Meudon en exil intérieur et reproduisent aussitôt le refuge de Korsør. Un enclos, une forteresse peuplée de nouveaux fidèles qui les protégeront du monde extérieur, hostile. Le jardin devient le royaume des chats et des chiens; Lucette aménage une voilière et, après la mort de Bébert, que dire la venue miraculeuse de Toto, le perroquet qui prendra la place de choix. Céline et l’oiseau, s’adoptant mutuellement et Toto deviendra, pour les années qu’il lui reste, le meilleur compagnon de l’Écrivain.

Semblable à Bébert sur bien des aspects, Toto apparaît aussi comme un autre personnage important du monde célinien, humanisé, il reçoit les journalistes, mord les casse-pieds, casse les crayons de l’écrivain, on l’entend jacasser dans les entrevues et Céline lui apprend à siffler… Quel personnage de romans céliniens, il aurait fait!

D’où provient cet amour démesuré, ce besoin de relations intimes et privilégiées avec les animaux et, apparemment, tardif dans la vie de Céline? Certains reprochent à Lucette de lui avoir imposé sa propre passion, en insistant pour adopter Bébert, qui appartenait à Le Vigan et dont il ne s’occupait pas. Lucette a surtout contribué très fortement à raviver chez Céline cet amour qu’il avait depuis longtemps envers les animaux. D’anciens souvenirs d’enfance, profondément enfouis, des temps heureux où il marchait dans Paris avec sa grand-mère. D’ailleurs, Lucette n’a-t-elle pas affirmé plus d’une fois que Céline savait parler aux bêtes, à toutes les bêtes, les rassurer et les comprendre… tout comme Saint-François-d'Assise?

L’importance de Céline Guillou, la grand-mère de Louis Destouches, n’est pas à démontrer. Ses biographes l’ont tous souligné avec justesse, le fait que l’écrivain utilisera son prénom comme nom de plume et qui deviendra le symbole de son génie impose la nature des liens qui existaient entre l’aïeul et l’enfant. Cela illustre également la puissance de l’ascendance que pouvait exercer la vieille dame sur son «Petit Louis». Dans sa biographie de Céline, François Gibault souligne exactement l’importance de ce personnage central dans l’enfance du futur Céline :

«… Il s’était du reste vite établi entre eux une sorte de complicité, l’aïeule adorait cet enfant. Lui était de son côté rapidement tombé sous le charme de cette grand-mère autoritaire et sarcastique, qui critiquait si fort et si juste, n’épargnant ni sa fille ni surtout son genre (…) Céline Guillou, au soir d’une vie qui avait été rude, se plut à faire l’école buissonnière avec cet enfant curieux de tout et à le laisser filer un peu la bride sur le cou (…) Aussi, a-t-il ressenti un immense chagrin quand elle mourut le 18 décembre 1904. Plus tard, évadé de sa famille et de son milieu où il suffoquait, il a choisi de s’appeler comme elle, pour vagabonder avec elle et avec tant d’autres fantômes et guignols dans un monde qui n’était imaginaire qu’en apparence» François Gibault, Céline 1894-1932 : Le temps des espérances p.50-51

À la mort de sa grande mère, le «Petit-Louis», qui a neuf ans, «hérite» de Bobs, un petit fox-terrier, acheté pour lui par sa grand-mère et qui, toujours selon François Gibault, «devint son meilleur compagnon». Le chien accompagnera Louis dans le passage difficile de l’enfance à l’adolescence. Dans les lettres, entre 1907 et 1909, lorsque Louis est en vacances ou en séjour d’études en Allemagne et en Angleterre, il s’informe constamment de son chien, de sa santé, lorsque ce dernier donne des signes de vieillissements.

Comme le fait encore remarquer François Gibault, Bobs est souvent la principale préoccupation de Louis. Il feint de s’informer rapidement au bout d’une phrase, entre deux idées : si Bobs va guérir? S’il ne va pas grossir au passage (Choiseul)? Parfois, un simple mot au détour d’une phrase : simplement «Bobs» avec un point d’interrogation. Rien d’autre; là se tient toute l’affection qu’il ressent. Il a appris à ne pas trop s’épancher, à agir en adulte, mais l’émotion est là très présente, à la Céline.

En mai 1909, Louis est en Angleterre, lorsqu'il apprend la disparition de son chien et cherche à relativiser la nouvelle, mais sa réaction, ses justifications montrent qu’il considérait l’animal comme un membre à part entière de la famille Destouches. Pour apprivoiser sa peine, il admet que, telle une personne parvenue en fin de vie, au moins, le vieux Bobs ne souffre plus :

«Chers parents. C’est hier après-midi que j’ai reçu la nouvelle de la mort de notre pauvre Bobs. Avez-vous bien su si ce n’était pas une syncope? Mais cependant la pauvre bête n’a pas fait une mauvaise chose, car j’aime mieux le voir mort que souffrir comme il souffrait. Nous aurons fait ce que nous aurons pu. Où vas-tu le faire enterrer? S’il était mort à Albon, nous aurions pu le mettre dans le jardin. Il faut se faire une raison et qu’à l’heure actuelle il ne souffre plus». Dans «Lettres» p.19, la Pléiade, sous la direction de Jean-Paul Louis et Henri Godard

Avec la mort de son chien, cadeau de sa grand-mère, Louis est de nouveau confronté avec la perte d’un être cher, sa sensibilité, lui fait dire qu’il n’aura plus jamais d’autres chiens. Une des chaloupes appartenant à la famille sera également rebaptisée «Bobs», en souvenir du disparu, comme l’on fait pour des personnages importants qui, pour un temps, marquent la société… le nom d’une rue, d’un square, d’un édifice public.

Ainsi, Bobs, qui accompagna le «Petit Louis» pendant toutes ces années, représentait pour lui un refuge devant le monde des adultes, un paravent entre la cruelle réalité du monde, la petite morale bourgeoise de ses parents et celui des rêves et des aventures fantastiques propre à l’enfance. Il est indéniable qu’avec son chien, Louis Destouches, a apprécié la compagnie particulière des animaux et aimé leur désintéressement, leur fidélité, leur affection, ce sens unique et inconditionnel d’une telle relation où le chien n’exige rien en échange de son attachement.

Pour le Céline adulte et meurtri par les hommes, la reconstitution des souvenirs d’enfance devient un élément de survie et Lucette l’a certainement fort bien comprise. Bobs demeure un des liens précieux et directs; le lien qui fixe la mémoire du temps et l’attachement à sa grand-mère est l’un des moments forts de ce temps si éphémère et, par conséquent, précieux. L’affection envers son chien est le prolongement naturel de l’amour de l’enfant pour cette vieille, qui savait si bien montrer le côté caché des hommes et des choses. L’inverse est également vrai, les animaux illustrent aussi l’amour gratuit que l’aïeul lui prodiguait.

Le chien fait également office de protecteur «idéologique» entre lui et ses parents, il doit agir tel un confident sur le mal de vivre, tout comme l’était sa grand-mère; tout comme le firent les animaux de Korsør et de Meudon, envers ce monde extérieur qui, dans la représentation d’un ordre moral hypocrite au service des maîtres et des puissants, remplaça ses parents. Les ménageries de Korsør et de Meudon sont des tentatives ultimes pour conserver sa santé mentale dans le prolongement du premier animal de compagnie. Céline désire inconsciemment renverser l’enfer de ses exils, et revivre en différé, par créatures interposées, des moments heureux d’un temps disparu, qu’il partageait avec son vieux Bobs.

Enfin, en quelque sorte, et malgré la haine et le bannissement qui l’entourent, il s’agit aussi d’une tentative de maintenir un lien avec les hommes et leurs souffrances, qu’il n’est plus en mesure de leur accorder et pour cause. Le rejet est radical et impitoyable, il est plutôt effarant de constater que des êtres humains, qui affirment prêcher la fraternité, l’humanisme et l’égalité agissent en véritables inquisiteurs, sans remords et prêts à tuer pour faire triompher l’amour du prochain, mais sont tout à fait incapables de constater et assumer leurs phénoménales contradictions. Ils agissent au nom du Bien.

Cela pour rappeler qu’à une certaine époque de sa vie, Céline pouvait compter sur un nombre fort restreint de véritables soutiens. Par la force des choses et des déceptions, il est devenu excessivement méfiant, comprenant difficilement qu’il existait encore des gens prêts à l’aider uniquement par amitié. Les animaux jouent un double rôle, à la fois un rempart contre le monde extérieur; le monde hostile des adultes et aussi, ne l’oublions pas, un renforcement essentiel des liens et des sentiments du couple, devant les épreuves qu’ils traversent.

En effet, nous avons trop tendance à personnaliser et cibler uniquement sur Céline le poids de ces épreuves qui, rappelons-le, furent affrontées en couple. Céline et Lucette, à compter de ce mois de juin 1944, menèrent ensemble un combat commun et de tous les instants. Ils ne furent jamais séparés, même par la prison, car, à défaut d’enfant, qui pouvait constituer le ciment protecteur de la famille pour faire face aux malheurs, sinon Bébert et les autres qui suivront?

Pierre Lalanne

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