dimanche 17 janvier 2010

Louis-Ferdinand Céline et notre avenir



Céline n’avait pas une très grande confiance en l’avenir de l’humanité, son arrogance et ses manières hautaines d’afficher sa supériorité et sa confiance absolue en son destin. Il regrettait l’incapacité de l’homme moderne à montrer une certaine modestie devant ses réalisations basées strictement sur la science et la raison; il suffit de s’adapter, de changer un Dieu pour un autre et les problèmes s’en trouvent miraculeusement résolus.

Pour Céline, Dieu représente la recherche d’une légèreté de l’esprit afin de contrer la puissance brutale de l’homme et sa vulgarité naturelle; vulgarité qui dissimule le plus grand des désarrois. En refusant d’admettre que l’existence est fondamentalement basée sur un mensonge et que la mort est la seule vérité possible, l’homme transforme sa nature en une ignominie. Alors, cette quête de la légèreté, comme toute recherche d’absolue, il la croyait inaccessible, mais nécessaire afin de comprendre et d’affronter.

Pourtant, nous savons que cette légèreté, il l’a parfois senti virevolter autour de sa plume et se poser sur ces mots qu’il devait inventer pour s’élever au-dessus de ce qu’il appelait la vulgarité. Pouvait-il se douter, dans son acharnement à trouver la justesse que, pour notre plus grand plaisir, il y est parvenu :

«
Je n’aime pas ce qui est commun, n’est-ce pas, ce qui est vulgaire. Je veux dire qu’une prison est une chose distinguée parce que l’homme y souffre, n’est-ce pas, tandis que la fête à Neully est une chose très vulgaire parce que l’homme s’y réjouit. C’est ainsi la condition humaine». Cahier Céline 2, Gallimard p.128

Céline possède cette force rare de pouvoir résister au dogme de la supériorité de l’homme sur le reste de l’univers, d’être en mesure d'aller au-delà du mensonge et de la réduire en une peau de chagrin. Cette attitude de se situer au-dessus de la banalité, de ne devoir rien à personne, de penser et d’agir au nom d’aucune idéologie, organisation politique où religieuse, fut également l’instrument de son malheur. Constamment, il a suivi le chemin de sa propre sensibilité et non celle programmée par les circonstances et la nécessité; sa sensibilité extrême constitue à la fois son ouverture au monde et sa défense contre ses abus.

Louis-Ferdinand Céline n’a jamais endossé de chemises brunes, noires ou rouges. Il a porté un temps le sarrau blanc de la médecine et de ‘innocence afin de soulager la souffrance. Mais, la plupart du temps, il est resté nu devant l’horreur qu’il a côtoyée toute sa vie. C’est pour ces raisons que dans ses livres, Céline a transposé la réalité en épopée; épopée inversée qui dénude l’homme, plutôt que de le glorifier selon les besoins d’un pouvoir ou d’un autre.

En l’espace de 67 ans, il passe brutalement de la cavalerie du 12e cuir avec cuirasse et casque à plumes, à l’explosion de la première bombe atomique; de la guerre des tranchées à la destruction systématique des villes par les forteresses volantes pour aboutir à la prolifération de l’arme nucléaire. La grande nouveauté du siècle est l’utilisation systématique de la terreur totale, contre les populations civiles.

Il s’agit pour Céline de l’aboutissement logique de 1789-1793, la grande victoire de la raison, des droits de l’homme et de l’égalité républicaine; la légitimité du pouvoir politique d’imposer au citoyen la nécessité de tuer au nom du progrès et d’imposer les dogmes d’une nouvelle religion. D’une activité jadis habituellement réservée à la noblesse et aux mercenaires, le concept d’égalité surgit sous le couperet de la guillotine, la guerre devient citoyenne et, ô merveille, également révolutionnaire. Elle confirme la notion de liberté et assure au citoyen l’accomplissement des ses devoirs envers la patrie gardienne de ses droits, avec comme résultat tangible, l’accroissement considérable du nombre des massacrés lorsqu’il y a conflit.

Pour Céline, là est plus grande abomination, cette gloire des armes, accessible au plus grand nombre…

«
La forme n’a pas d’importance, c’est le fond qui compte, Il est riche à souhait, je suppose. Il nous montre le danger de vouloir trop de bien aux hommes. C’est une vieille leçon toujours jeune.» La vie et l’œuvre de Semmelweis, Denoël et Steele p.31 1937

Outre les deux grands conflits mondiaux, il a connu la révolution bolchévique avec ses guerres civiles, ses famines planifiées, ses purges, ses procès, ses goulags… la revanche des damnés de la terre. Puis aussi la guerre d’Espagne, ce grand champ d’exercices des futurs belligérants de 39-45. Après, ce fut la révolution chinoise, la création d’Israël avec ses conséquences, la guerre de Corée, la désorganisation de l’Empire britannique et la formation de nouveaux, soviétique et américain.

Parallèlement, il assista à la réduction lente et progressive d’une France jadis influente; cette France vaincue et doublement occupée, anciens et nouveaux maîtres se succèdent au gré des conférences internationales… Yalta légitimiste les nouveaux joueurs… «Le Vatican… Combien de division», demandait Staline? Ce message, s’adressait directement aux états vaincus par le nazisme, dont, en tout premier lieu, la France et ce, pour bien marquer qu’elle ne représentait plus rien, sinon qu’un vieux rêve dépassé d’égalité et de fraternité. D’ailleurs, la réalité l’a rapidement rattrapé, la France… Indochine, Algérie… Lente agonie.

Enfin, les amis d’hier sont les ennemis d’aujourd’hui, la Guerre froide et la menace planifiée du feu nucléaire sur les populations civiles. Pour la première fois de son histoire, l’homme devenait capable de rayer toute forme de vie sur la planète. Céline y voyait l’aboutissement de la victoire de la raison et du progrès; victoire qu’il anticipait déjà en écrivant, dans les années vingt, sa thèse de doctorat. L’humanité sous le dogme absolu de la science et de la nécessité d’une marche ininterrompue vers le progrès et le développement afin de contrer les menaces nouvelles de cette fin des temps atomisée…

Il est facile de poursuivre leur logique jusqu’à aujourd’hui, équilibre de la terreur nucléaire devenue équilibre de la terreur environnementale, toujours pour des solutions à caractère strictement scientifique, dans un but de profit et d’enrichissement. Pour les maîtres, c’est sans fin et la populace paie la note et s’oublie dans les fêtes et les commémorations.

Le Spoutnik, image chère à Céline, constitue le prélude aux nouvelles conquêtes, l’homme est à la grandeur de l’univers, les possibilités sont infinies, la prise de conscience que la planète sera bientôt trop petite et qu’il faudra penser un jour à s’emparer de tout ça et le revendre à ceux qui en ont les moyens. Symboliquement, le moment est crucial, la prise de conscience que l’humain mérite mieux que son village d’origine et doit viser plus loin… à la hauteur de ses aspirations et de ses capacités, la préparation à la mise en place des grands ensembles, l’Europe… le marché global puis, avec le temps, la gouvernance mondiale… cette fin de l’histoire tant espérée… La banalisation totale de l’homme, anonyme et esclave de la raison.

Nous sommes tous en devenir, des mutants, des Bardamus virtuels, des errants égarés dans les ténèbres de la toile où, quelque part, se terre la bête, le lieu sacré de nos futures guerres… Rappelons-nous : les formes changent, mais le fond demeure. Ce « meilleur des mondes », l’avenir à la Ford, annoncé par Céline, l’embrigadement de chaque être dans une industrialisation à outrance, dans une fuite en avant incontrôlable. Nous en sommes la concrétisation, un rouage de l’avenir… l’expression parfaite de notre impuissance et de notre solitude extrême.

Nous ressemblons probablement aux derniers païens devant la montée inexorable du christianisme, de son arrogance triomphante et de l’impuissance du petit à empêcher la destruction de ses vielles idoles, ses arbres sacrés, ses fées et gardiens du logis, ce merveilleux transmis de génération en génération et qui entretient l’imaginaire. Païens ostracisés, obligés de se convertir aux nouveaux Dieux pour de nouveaux mensonges et des maîtres avides de propager la vérité.

La lucidité de Céline est à la fois foudroyante, choquante et implacable, elle nous déstabilise dans ce que nous avons de plus précieux, nos certitudes et notre naïveté envers l’avenir aux mille promesses. Prenons seulement comme exemple la manière dont Céline décortique cette merveilleuse invention qu’est, en 1955, la télévision. Personne mieux que lui en aura compris aussi simplement les mécanismes et ses formidables possibilités comme instrument de progrès et de propagande :

«C’est un prodigieux moyen de propagande. C’est aussi, hélas! Un élément d’abêtissement en ce sens que les gens se fient à ce qu’on leur montre. Ils n’imaginent plus. Ils voient. Ils perdent la notion de jugement et ils se prêtent gentiment à la fainéantise. La TV est dangereuse pour les hommes,»

«La télévision, tout ça ce sont des abrutissoirs tout à fait tellement inférieurs… Le quotidien, le mensuel, tout ça… Tellement massif que même les esprits solides résisteront pas à ça…Y seront abrutis dès l’enfance… Et tant pis alors, l’alcool, l’auto, la télévision, le quotidien, l’hebdomadaire… Pis l’climat, n’est-ce-pas…Non…» dans : Céline, Yves Buin, p.424 Folio

Le Siècle de Céline est une période charnière de l’histoire, celui de la démesure, des derniers soubresauts d’un ancien monde et l’émergence de celui qui va le remplacer, la lente agonie des nations et des peuples, la fin des différences. Céline a tout vu, tout connu, tout observé, tout pressenti de cet état en devenir. Son extrême sensibilité au monde et à son devenir, l’a conduit jusqu’aux aux portes du délire mystique.

Pour terminer, revenons sur les derniers mots de cette citation : «pis l’climat»… étrange, non? Comme si cela n’avait aucun rapport avec le reste de sa phrase. Bien sûr, il veut dire le Sud, le soleil de plomb, la chaleur insupportable, l’humidité des tropiques qui apportent la dégénérescence aux races du nord. Pour Céline, le danger ultime vient du Sud… sa Terre promise ce situe dans un outre-Nord fabuleux, lieu de ses origines Bretonnes et Celtiques, à jamais perdus dans la mouvance des hordes guerrières.

Toutefois, avouons tout de même que ce «pis l’climat» nous amène au réchauffement climatique, qu’il soit imaginaire, causé par l’activité humaine ou simplement naturel. L’expression apparaît d’autant plus bizarre dans la bouche de l’écrivain que Céline est justement mort un jour de grande canicule, comme pour un dernier avertissement contre les menaces du Sud; comme le prélude des châtiments qui menacent l’Occident. Un drôle de hasard tout de même… comme ça, sans prévenir, à la fin d’une phrase, mine de rien, trois mots esquintés, Céline en ermite, prophète du Nord, surplombant Paris.

Ainsi, on s’étonnera toujours de ses dernières années à Meudon, réduit à l’état de clochard, jouant pour la galerie son rôle de maudit. Pourtant, son état de dénuement, de vie d’ascète, se consacrant entièrement à l’écriture, ne signifie-t-il pas un besoin pressant? Celui de nous transmettre, avant de mourir, ces mots qui permettent d’entendre sa musique, non pas pour une liberté de façade, mais l’accès à la légèreté de l’esprit afin d’affronter, en toute quiétude, la seule Vérité qui nous appartient.

Pierre Lalanne

vendredi 1 janvier 2010

Louis-Ferdinand Céline et Albert Paraz



Le Gala des vaches

Valsez saucisses

Le menuet du haricot


Albert Paraz, Pamphlets, préface Jacques Aboucaya, L’Age d’homme 2003


Albert Paraz est un personnage curieux, étonnant et mal connu; ingénieur, homme d’affaires en banqueroute, anarchiste, militaire réformé, tuberculeux, peintre, scénariste, chroniqueur et écrivain; mille métiers, mille misères. Une sorte d’homme-orchestre, doté d’un sens aigu de l’observation du quotidien et imprégné de justice, mais d’une intransigeance absolue envers ce qu’il considère l’absurdité des systèmes politiques qui, en fonction de leurs intérêts, entretiennent les pires abus, les encouragent et s’en nourrissent.


Un homme d’une sincérité arbitraire et sans concessions pour la connerie humaine, un sens inné pour l’équité où, dans son esprit, le faible et le persécuté ont droit à toute sa considération, son énergie et sa défense inconditionnelle.


Malade, sans argent, condamné à une quasi-inactivité, chassé des hôpitaux où il passe, errant de sanatoriums en maisons de santé, Paraz, amorce en 1947, l’écriture d’un journal qui va se transformer rapidement en des chroniques pamphlétaires où la défense de Louis-Ferdinand Céline deviendra le pivot de son écriture. «Le Gala des vaches» est publié en 1948, suivi de «Valsez saucisses» en 1950 et, inachevé, «Le Menuet des haricots», ne paraîtra qu’en 1958, après la mort de Paraz, en septembre 1957.


Paraz voue une admiration sans bornes à l’écrivain et ne s’en cache pas, il la crache à qui veut l’entendre, la développe avec passion et l’argumente avec la verve et l’originalité qui caractérise si bien son esprit libertaire. Ces trois livres sont avant tout un cri contre l’indifférence envers le sort de Céline et la haine généralisée qui l’accable. L’anarchisme de Paraz, son scepticisme à l’égard des institutions et sa grande sensibilité envers toutes les formes de malveillance le poussent dans les bras du proscrit afin de le tirer de sa nuit.


Pourtant, en 1947, ils se connaissent très peu :


J’ai connu Céline en 1934, dans un bistrot de la rue Lepic. On s’est tout de suite tutoyé avec la même cordialité et le même abandon que maintenant, il anticipait avec une simplicité d’extra-lucide quinze ans d’amitié, je précise qu’il n’avait pas été question de présentations, il me prenait pour un client quelconque qui vient boire son café en vitesse. Plus tard, je lui ai donné le manuscrit de Britu, il l’a lu et m’a dit : «Va voir le père Denoël, c’est un Belge! (Le Galla… P.174)


Malgré cette méconnaissance mutuelle et probablement grâce à elle, parce que libre de toutes attaches, de contraintes et de souvenirs communs, une correspondance effrénée et originale va se développer. Le 1er juin 1947, Paraz reçoit une première lettre de Céline, à la suite de l’envoi de l’un de ces livres.


C’est ainsi que «Le Gala des vaches» raconte ces premiers échanges épistolaires entre les deux hommes, contacts qui deviendront rapidement fraternels, comme si, finalement, par l’écrit, ils parvenaient à se découvrir et se rejoindre. L’un enfermé dans sa maladie et l’autre dans sa solitude nordique; ce qui n’aurait pas été possible autrement, le devient par la force des circonstances. L’amitié, la solidarité n’ont pas nécessairement besoin d’une relation de visu, entre quatre yeux, d’un contact direct pour s’épanouir et se consolider, le rythme des mots et des échanges peut suffire.


Pendant toute la période d’exil, Paraz informe Céline de ce qui s’écrit et se raconte à son sujet, les commentaires, les rumeurs, les articles, les insultes des uns et des autres, les faussetés, les saletés, c’est lui qui l’alimente. Il sera le premier à l’informer de la parution l’article de Sartre sur la question juive dans «Les temps modernes» et sa phrase coupe-gorge… si Céline a collaboré c’est qu’il a été payé par les nazis… Sa réponse, «À l’agité du bocal», proposé à la NRF, est refusée par Paulhan parce que Sartre est déjà une vache sacrée et que cela pourrait nuire à Céline. Elle sera publiée pour la première fois dans le «Galla des vaches».


Ainsi, Céline découvre un correspondant qui le comprend, le stimule et le provoque, lui redonne ce goût de la France qui lui manque terriblement. Dans sa biographie de Céline, Frédéric Vitoux a bien décrit le caractère de cette correspondance, essentiel pour le moral de l’exilé :


«Céline en difficulté au Danemark, proscrit, maudit, en attente de jugement, voilà l’occasion de lui écrire, de l’encourager, de braver les modes, les conformismes de la pensée, le confort idéologique et épurateur de l’époque. Et Paraz se démènera sans compter pour aider l’écrivain, à la mesure de ses moyens et de ses relations. Leur correspondance sera pour l’auteur du Voyage comme une formidable bouffée d’oxygène, une façon de briser sa solitude, de respirer un peu l’air de Paris.», «Une vie de Céline» Grasset, P. 470)


Il est dommage que Céline eût l’habitude de détruire systématiquement toutes les lettres qu’il recevait. En effet, avec l’anarchisme incisif de Paraz, ses commentaires sur l’actualité, son style provocateur et moqueur, ses manières d’insinuer, de déduire et de conclure, produisirent chez Céline les réactions qui engendrèrent ses plus belles envolées épistolaires. C’est plus de 350 lettres que Céline adresse à Paraz sur une période de dix ans et avec une grande intensité pendant l’exil danois.


D’ailleurs, Paraz était sensible au style épistolaire de Céline :


«Les lettres de Céline ont la richesse, la beauté, l’intelligence de l’évènement, la résonnance avec les ondes secrètes qui sillonnent l’univers et aussi la compréhension du plus petit battement des artères. Il tombe toujours à pic sur le mot juste et s’il ne le trouve pas il l’invente. (…) La graphie de Céline est d’une rapidité, d’un galop, elle ne touche pas terre, parfois son élan est tel qu’une trace à peine est marquée pour tout un mot». « Le galla des vaches» P.117


Avec son autorisation, Paraz utilise donc les lettres de Céline pour composer la structure de son premier livre consacré à la défense de l’exilé. «Le Gala des vaches» en est parsemé où, sous la forme de commentaires percutants, l’on peut suivre en parallèle les efforts de Paraz pour la réhabilitation de son correspondant tout en décrivant la situation politique de la France sous l’Épuration.


Paraz ne s’attarde pas seulement à répondre à toutes les attaques dont Céline est victime, mais décrit aussi son existence de malade à l’intérieur des institutions de santé où se mêlent les mesquineries du personnel, la stupidité des infirmières et l’indifférence des médecins assis sur leur petit pouvoir de bureaucrate, et cela, toujours dans son style direct et rapide, qui ne sombre jamais dans les nuances ou l’apitoiement.


Exemple, une pétition qu’il fait circuler, réclamant le retour des boches, sous prétexte que les malades étaient mieux nourris et soignés pendant l’Occupation que par le nouveau pouvoir sous le contrôle des «résistants», plus prompts à fusiller qu’à panser les plaies de cinq ans de guerre. Imaginer, dans le contexte de ses années, des malades réclamant le retour des Allemands… comme provocation, il est difficile de faire mieux…


Pour Paraz, c’est une question de principe, tout au long de ces trois livres, il attaque férocement la «Résistance» au pouvoir, ces Français qui assassinent d’autres Français, sont pour lui inacceptables et transforment ces «héros» en vulgaires criminels. Il affirme. Il hurle à qui veut le lire, que les acteurs du grand nettoyage, ont beaucoup plus de cadavres sur la conscience que la Gestapo… les rafles contre les juifs sont comprises dans ses comptes.


Il s’attaque violemment aux nouveaux tortionnaires, qui règlent leurs comptes, éliminent pour occuper les bonnes places… contrôlent l’appareil judiciaire, censurent les journaux et les écrivains. On peut facilement penser que Céline a certainement été sensible à ce type d’échanges.


À sa parution, avec un tel contenu, «Le Gala des vaches» fait scandale. Comment en douter? Du côté de Céline, plusieurs s’émeuvent et le mettent en garde des conséquences d’être le personnage principal d’un tel brulot, du tort immense que ces écrits pourraient lui faire, le procès à venir et sa condition d’exiler qui pourrait bien se poursuivre indéfiniment. Les avertissements et les mises en garde se succèdent et Céline doit se résigner.


Il écrit à Paraz…


«Oh tu sais maintenant je crois qu’il faut arrêter la musique des lettres publiés. Jamais répéter rien. Là c’était fortuit, innocent de ma part, c’était bon. Maintenant ça serait du putanat – du truc – Commerce. (…) Oh chiottes les Galas! Épicerie! Qu’ils se vendent! J’en donne pas ici. Tout est compris de travers. N’envoie rien!... Voilà Dr Camus, Daragnès, Mikkelsen, outrés - , et Marie c’est sûr! On est en pétard avec le monde! Plus rien à faire. Tout est mal pris. A l’agonie on trouvera qu’on râle mal.»(Lettre, Céline à Albert Paraz, Gallimard p.108)


Tel un écolier pris en faute et à qui l’on tape sur les doigts de fréquenter un si mauvais compagnon, Céline se sent obligé de reculer et presque de s’excuser, de promettre qu’il ne recommencera pas, qu’il a gaffé. Toutefois, si regret il ya, ce n’est pas d’avoir osé braver les interdits, mais de s’être fait prendre, car, on n’en doute pas, il s’est bien amusé à décrier avec son nouvel ami. Quoi qu'il en soit, pour la suite, «Valsez saucisse», les lettres passeront sous le regard inquisiteur de Céline, des passages et des noms seront ainsi biffés pour ménager les uns et les autres.


Rappelons que la situation de Céline n’est pas brillante, exilé, emprisonné, menacé d’extradition, puis astreint à résidence avec interdiction quitter le territoire, inscrit sur la liste noire de CNE, accusé de trahison en vertu de l’article 75, menacé d’un procès à coup sûr inéquitable avec la mort probable tout au bout du processus. L’Épuration est à la hauteur des rancœurs de la défaite de 40, une infamie nationale qu’on doit laver dans le sang...


En France, un travail de sape est également en marche, Céline doit disparaître de la mémoire collective, ses livres sont interdits, son statut d’écrivain est évacué, son éditeur assassiné, son nom diabolisé et associé aux pires monstruosités, l’appareil de propagande fonctionne à plein régime. L’idéal serait qu’il disparaisse physiquement, à tout le moins, qu’il ne revienne jamais en France. Les amis sont rares et se taisent, beaucoup ne sont guère situation d’agir, eux-mêmes menacés par les épurateurs.


Alors, dans les circonstances, comment venir en aide à Céline, la stratégie est d’ailleurs ambigüe, la plupart préfèrent attendre en pensant que la vindicte finira par s’estomper d’elle-même et que tout finira par se tasser, mais cela fait aussi le jeu de ceux qui veulent rayer son statut d’écrivain. Pour eux, plus les mois, les années passeront que Céline finira ses jours dans l’indifférence sur les bords de la Baltique et lui qui déteste la campagne; cette mer semblable à une grande mare vide de tout mouvement… l’expression parfaite de la mort… littéraire et physique.


D’autres croient plutôt qu’il faut faire face et affronter l’ennemi, contrer l’offensive et arracher Céline aux ténèbres où on l’enfonce un peu plus chaque jour. En fait, ils sont deux : Pierre Monnier et Albert Paraz. Ils sont d’avis qu’il faut agir, le premier s’active à dénicher un éditeur afin de contrecarrer la conjuration du silence et, le second, de son lit d’hôpital, apostrophe, écrit lettres, livres, articles, où tout est prétexte à glorifier le génie de Céline et proclamer son innocence.


Par ce petit commentaire qui passe presque inaperçu, Paraz montre l’importance du rapport de force en présence et que les amis les plus influant, insistent fortement pour que Céline garde le silence et prennent les bons moyens :


«Avant de Quitter Paris, Bernanos était décidé à faire pour Céline un grand article. Il en a été découragé par des personnages aux airs mystérieux, aux airs entendus. Ça lui ferait plus de mal que de bien, disaient ces cons. J’étais le seul à trouver que ça commençait à trop durer. Depuis,(Bernanos), il est parti, dégouté, sur les bords du Sahara». (Gala des vaches p.83)


Paraz n’a pas ménagé ses efforts et bousculé bien des gens dans sa défense de Céline, mais la plupart des biographes de Céline minimisent son rôle, affirment même qu’il fut nuisible et passent rapidement sur l’intensité et l’importance de leurs relations, répétons-le, fortes de 350 lettres.


Il existe un malaise certain envers Albert Paraz, une incompréhension, il est banalisé, perçu comme un inconscient, voire un opportuniste ne cherchant, à travers Céline, qu’à se donner de la visibilité, une notoriété lui permettant de vendre ses livres; un énergumène, un fou sympathique, mais dangereux, parce qu’incontrôlable.


Ainsi, à son retour en France en juillet 1951, Céline s’installe pour un temps, chez ses beaux-parents à Menton, qui n’est pas très éloigné de Vence où réside Paraz. On s’interrogera beaucoup sur ce rendez-vous manqué, cherchant à démontrer le peu d’intérêt et l’égoïsme de Céline en ne se rendant pas lui rendre visite.


La réalité est probablement plus complexe, Céline ne veut aucune publicité, il cherche l’anonymat, «persona non grata»; il ne veut voir personne, surtout ne rencontrer aucun journaliste, ne répondre à aucune question et on peut le comprendre. Dans le «Menuet des haricots», Paraz affirme que plusieurs journalistes, convaincus de la venue imminente de Céline à Vence, attendaient son arrivée, raison de plus pour ne pas tomber dans le piège. Il est des amitiés qu’il importe de protéger…


Le plus bel hommage à Albert Paraz quant à son amitié envers Céline, se trouve sous la plume de Pierre Monnier dans son «Ferdinand Furieux» :


«Quand on lit la correspondance qu’ils ont échangés pendant tout l’exil de Céline, on imagine entre eux une solide amitié et une non moins solide complicité. Pourtant, parmi les autres amis de Céline, personne ne connaissait Paraz. Beaucoup s’en méfiait sans la moindre raison, sans doute un peu de jalousie…»


«Il m’a souvent semblé que Ferdinand ne croyait pas au merveilleux cadeau que constituait son combat insensé mené par Albert du fond de son sana. Tant de générosité, tant de violence, tant d’imprudence mises au service de sa cause lui paraissait peut-être suspecte… Il est vrai que certain mettait peut-être Céline en garde…»


«Moi, j’ai une conviction… Céline avait une certaine réserve à l’égard de ce preux dont l’attitude et les actes étaient sans rapport avec sa propre expérience des hommes… Et là encore, comme toujours, il était «en quart». Mais il était trop clairvoyant, trop tendre aussi pour ne pas être au fond convaincu de la sincérité de Paraz. Pour ma part j’accorde à Paraz un total crédit. Il a été le seul écrivain à prendre des risques pour aider celui qu’il admirait et je ne doute pas de la profondeur de ses sentiments amicaux, J’ai tout de suite sympathisé avec Paraz, fraternel courageux, insolent, et si plein de talent». (p.206-207)


À sa mort, dans le journal «C'est-à-dire», Céline salue ainsi la disparition de son compagnon d’exil, Albert Paraz:


«La mort apporte avec elle un grand bien: le Silence! Eh, foutre, que ce n'est pas l'avis des survivants! «Les grandes douleurs sont muettes», j'entends une de ces bacchanales autour du pauvre Paraz qui me fait penser qu'elles sont là bien petites. Les anciens mobilisaient les pleureuses, maintenant, on les filme, on enregistre leurs clameurs. De quoi s'agit-il? Sottise? Hystérie? Publicité? Au choix! Si les morts pouvaient nous entendre, voudraient-ils entendre rien d'autre qu' «Au revoir! à bientôt!» Tout le monde est indécent.» (www.excentriques.com)


Probablement que Céline n’avait pas beaucoup d’affinité avec l’œuvre d’Albert Paraz, ils ne jouaient pas la même musique, ne dansaient pas avec la même légèreté, mais qu’importe, ils se rejoignaient par l’esprit du temps. Pour l’anarchiste, Céline représentait un modèle; il représentait aussi l’image parfaite de la victime, persécuté par ceux-là mêmes qui avaient combattu le nazisme au nom de la possibilité d’un monde meilleur en s’arrogeant le droit de vie et de mort, ce droit qui mène toujours aux pires abus.


Paraz s’attaque à la suffisance des hommes, à leurs mensonges, à leur hypocrisie et à leur lourdeur. En ce sens, ils se rejoignent et chacun, à leur manière, sont frères.


Pierre Lalanne





vendredi 18 décembre 2009

Louis-Ferdinand Céline et les idées

«… j’ai pas d’idées moi! Aucune! et je trouve rien de plus vulgaire, de plus commun, de plus dégoûtant que les idées! les bibliothèques en sont pleines! et les terrasses des cafés!... tous les impuissants regorgent d’idées!... et les philosophes!... c’est leur industrie les idées!.. ils esbrouffent la jeunesse avec! ils la maquereautent!... la jeunesse est prête vous le savez à avaler n’importe quoi… à trouver tout : formidââââble! S’ils l’ont commode donc les maquereaux! Le temps passionné de la jeunesse passe à bander et à se gargariser d’«idéaas»!... de philosophie, pour mieux dire!... oui, de philosophie, Monsieur! la jeunesse aime l’imposture comme les chiens aiment les bouts de bois, soi-disant os, qu’on leur balance, qu’ils courent après! Ils se précipitent, ils aboyent, ils perdent leur temps, c’est le principal!... aussi, voyez tous les farceurs pas arrêter de faire joujou avec la jeunesse… de lui lancer plein de bouts de bois creux, philosophiques… si elle s’époumone la jeunesse!... et si elle biche!... qu’elle est reconnaissante!... ils savent ce qu’il lui faut, les maquereaux! des idéâs!... et encore plus d’idéâs! des synthèses! et des mutations cérébrales!... au porto! au porto toujours! logistique! formidââââble!... plus que c’est creux, plus que la jeunesse avale tout! bouffe tout! Tout ce qu’elle trouve dans les bouts de bois creux… idéââs… joujoux!»...«Entretiens avec le professeur Y» Gallimard (p.19-20).


Pourtant, les idées ne manquent pas chez Céline, elles foisonnent aux files des pages, explosent de trouvailles, de merveilles, de perles, joyaux d’entourloupes et de tempêtes fulgurantes de mots et d’images; le souffle et les enchainements font rire, pleurer et, surtout, comme ça, au détour d'une expression, réfléchir. S’interroger, juste ce qu’il faut pour laisser se dessiner un sourire, tout léger. Une hésitation qui peut éclater tel un éblouissement… Après tout, c’est peut-être vrai, que «le monde n’est qu'une immense entreprise à se foutre du monde».


La subtilité dans la démesure, son message, d’apparence grossière pour certains, primaire et vulgaire pour d’autres, s’impose bien davantage que les savantes idées décortiquées, énoncées et expliquées par des spécialistes chevronnés, diplômés et imbus de certitudes métaphysiques, les gardiens de nos «valeurs universelles». Ces penseurs représentent un vaste savoir qui, par définition, se doit d’être inaccessible aux communs que nous sommes, occupés à gagner notre pitance. Cela leur permet d’alimenter leurs machines à idées destinées à nous rassurer sur notre sort tout en s’assurant de leur utilité; raison, sagesse et lumière vont de pair et tant pis pour celui qui n’a pas les moyens de ses ambitions… que le meilleur file avec la caisse.


Prenons l’idée de liberté…Ah! La belle idéâââ! Millénaires, depuis la nuit des temps qu’elle nous tarabuste, nous fait rêver! Idée insaisissable, chantée en vers et en prose en hommage aux milliers de libérateurs, dictateurs et illustres fondateurs de nos démocraties modernes; aboutissement difficile après tant de peines, de luttes, à la sueur des sacrifices et des révolutions pour aboutir à cette grande finalité qui est la nôtre. Quotidiennement, la liberté sur grand écran, tellement insipide et veule qu’elle écœure… Tant et tant d’efforts pour en arriver là.


Paradoxalement, la liberté est une idée dangereuse qui peut devenir vite incontrôlable. Il est alors nécessaire de la limiter, de la restreindre, de l’encadrer pour mieux s’en repaître et s’illusionner de vivre dans le meilleur des mondes. Il importe donc de la façonner en modèle idéal, mais pratique, bien adapté aux conditions réelles de la société, car, le danger de dérapage est toujours présent. L’immonde! La bête qui attend, toujours tapie, nous guette, nous pourchasse, nous détourne de nos véritables valeurs et menace nos institutions.


Alors, à la rescousse, les intellectuels s’activent, bouillonnent d’idées sur la nécessité de nous protéger contre nos excès, nous mettre en garde contre nos propres abus, l’ivresse et la folie d’une liberté mal tenue, la désorganisation des sens qui mène tout droit à l’anarchie. L’idée de base, sublime, est de réglementer la liberté, la légiférer, l’enchainer afin que cette belle et grande idéâââ demeure figée à jamais momifiée dans les chartes, les constitutions, les principes et les déclarations d’autosatisfaction. Pour être encore plus définitif, louangeons ses bienfaits dans les églises construites à sa gloire et à ceux par qui est sortie l’étincelle…


Et pourtant, combien sont vraiment dupes devant tout ce tape-à-l'œil?


À preuve de toute la fragilité de cette mascarade, c’est que les gardiens, les polisseurs d’idées sont toujours un peu inquiets lorsqu’un illuminé comme Céline s’interroge et perce l’opacité de leurs discours, démontre le vide de leur argumentation, que cette liberté que l’on s’acharne à glorifier par tous les moyens n’est que du bourre mou et sent la putréfaction de ceux qui sont morts en leur nom.


Pour Céline, du haut de leur chaire, ces maquereaux ressemblent tous à de tristes curés, cols blancs grands ouverts pour faire décontracte, soutane de prix et amis bien placés, preuve que les bonnes idées paient toujours. Du haut de leurs relations, ils imposent la vision de leur monde idéal; visions de liberté, des droits, de l’homme et de la marchandise; les droits d’auteurs, les droits de culte, les droits des uns et des autres qui finissent par s’annuler pour devenir une magnifique et superbe dictature du vide et de l’insignifiance.


Dernière en liste, l’idée magique qui chapeaute définitivement l’idée de liberté : l’éthique, le retour d’un vieux et merveilleux concept, marque déposée des intellectuels à la mode qui leur permet d’arrondir leurs fins de mois. Imaginons un moment le plaisir de Céline à nous causer de l’éthique dans nos sociétés parvenues enfin aux frontières de la perfection…


Convenons donc avec Céline, que l’organisation des idées sert essentiellement à maintenir les privilèges d’un groupe au détriment d’un autre ou de plusieurs en même temps.


Parfois, lorsqu’une idée persiste trop longtemps, il peut se produire un grand chambardement. Nous assistons alors à la mise en place d’un nouveau pouvoir qui s’activera à étouffer les nouvelles idées alors en vigueur pour finalement atteindre exactement le même résultat qu’auparavant. Les idées se transforment, mais l’homme reste le même, ordure intégrale.


Des modes, les idées vont et viennent et se répètent, s’imposent, durent un moment, se tarissent par lassitude et, un bon jour, reviennent d’on ne sait où… Une déferlante, puissante et dévastatrice qui emporte toutes les anciennes idées. Au point où l’on se demande comment on n’y a pas songé avant. L’image du bout de bois, dans le texte de Céline, ramène dans sa juste perspective l’ensemble du phénomène… Nous courrons tous après le premier venu qui saura nous vendre ce que nous croyons être l’idée du bonheur.


Alors, mourir pour ses idées… le pas est vite franchi; quoi de plus grandiose que d’offrir sa vie à la réalisation d’une idée?… Les Dieux, le Roi, la Patrie, la Liberté, la Révolution, la République, l’Écologie, mille Valeurs, mille misères si chères à l’humanité progressiste, qu’il importe d’en porter aussitôt la bonne nouvelle chez les voisins.


Fatalement, la guerre est vite devenue une grande idée qui s’accroche depuis toujours, la plus belle en fait, noble, elle assure la communication des idées. Elle s’impose d’elle-même afin d’assurer la paix aux hommes de bonne volonté; les armes, l’uniforme; la beauté des défilés constitue habituellement le meilleur moyen de convaincre les septiques que nos idées sont les meilleures. D’ailleurs, Céline y a consacré la totalité de son œuvre et magistralement décodé l’imposture de ce grand mensonge.


Une belle idée, ce mensonge de la «der des ders» celui de 14-18, est vite devenue, en 39-45, «plus jamais ça» ou quelque chose d’approchant. Peu importe, la raison qui sous-tend l’exercice, le résultat reste le même, des monceaux de cadavres et de gravats à plus savoir comment s’en débarrasser. Tuez! Massacrez! Mentez! Justifiez! Il en restera toujours quelque chose de positif, foisonnement d’où en ressortira de nouvelles et grandes idéâââs.


«Mois après mois, c’est sa nature, le paumé gratis il expie sur le chevalet «Pro Deo», sa naissance infâme, ligoté bien étroitement avec son livret militaire, son bulletin de vote, sa face d’enflure. Tantôt, c’est la guerre! C’est la paix! C’est la reguerre! Le triomphe! C’est le grand désastre! Ça change rien au fond! Il est marron dans tous les retours. C’est lui le paillasse de tout l’univers… il donnerait sa place à personne, il trétille que pour les bourreaux. Toujours à la disposition de tous les fumiers de la planète!» (Guignol’s band l, la Pléiade t.3 p.97)


Céline dénonce ces faiseurs d’idées, vendeurs de rêves, ces charlatans qui, au nom de la philosophie, tentent de nous convaincre qu’ils entretiennent la seule Vérité possible. Ils détiennent le secret de leur bonheur. Ils obligent le bon peuple à s’embarquer dans leur galère et à ramer en cadence, parce que là-bas, se trouve une terre promise, la seule direction possible, une île merveilleuse, l’Eldorado…«La vie devient plus belle camarades, la vie devient meilleure», disait le Petit père des peuples… Belle, idée, ma foi qui, selon Soljenitsyne a coûté pas loin de 70 millions de morts…


Dans ces «Entretiens avec le professeur Y», écrit au milieu des années 50, Céline vise directement Sartre, l’incubateur à idées nouvelles; Sartre qui sera bientôt à l’apogée de sa gloire, accueilli telle une vedette rock partout où il passe. C’est lui qui endoctrine la «jeunesse» en lui lançant des bouts de bois que chacun rapporte en chien fidèle, espérant être aux premières loges pour le nécessaire changement de garde. En accusant Céline d’avoir été acheté par les nazis, Sartre aura la merveilleuse faculté de réussir à passer pour un défenseur de la justice et de la liberté tout en se jetant dans les bras de la dictature communiste.


Alors, des maquereaux, les intellectuels? Des imposteurs à la solde des véritables détenteurs du pouvoir qui collaborent allègrement, couchant dans le même lit pour une gigantesque partouze aux frais de la populace? Pourquoi en douter? Les faits sont là, indéniables, mais ne jetons pas la pierre au ténia pour autant… Ni pire ni meilleur que les anciens, que ceux qui trônent aussi de nos jours, il n’est qu’un minuscule rouage de l’engrange dans lequel nous tournons et tournons jusqu’au trépas, la seule Vérité.


Sauf que nous devons rendre justice à Céline…


De Hitler à Staline en passant par de Gaule ou bien de Chavez à Obama en s’attardant à Mitterrand, les philosophes flattent un ou l’autre des camps en entretenant l’illusion du bien commun, pendant ce temps, les marchands de canons brassent des affaires et assurent notre avenir.


Pierre Lalanne