dimanche 26 avril 2009

La trahison de Louis-Ferdinand Céline.


Au nom de la raison et de la victoire de la science sur les forces de l’obscurantisme; au nom du « Siècle des lumières », les massacres se poursuivent en épousant les courbes rassurantes de la croissance. Au nom d’une conception réductrice du concept de liberté, la démocratie suit un parcours parallèle en achevant de construire la dictature du nivellement.

Par la globalisation des idéologies, l’opinion s’articule tout doucement autour d’une pensée unique; les mots, les cris, la révolte, l’indignation, la colère et le refus sont devenus des marques d’inadaptation sociale, voire, comme au temps des Soviets, de maladie mentale. Cela nous est joliment présenté comme un dysfonctionnement héréditaire du comportement humain. Cette tare doit être soignée et confiée à la psychologie universelle, dont l’objectif ultime est le contrôle de cette nature humaine, si imparfaite. Cette science vise à orienter les comportements humains vers une acceptation des conditions d’existences, soit le marché. En résumé, l’expression d’une rébellion est le résultat de l’incapacité de la pensée à s’adapter aux règles de fonctionnement démocratiquement établies et acceptées par une hypothétique majorité.

Les règles, la coercition et l’acharnement systématique des institutions à rendre l’homme semblable à une machine sociale efficace, offrent l’illusion d’une union sacrée entre les différents groupes sociaux, dont l’objectif est une sorte de bonheur commun axé sur la production et ses récompenses illusoires, la consommation.

L’organisation du mensonge justifiant cette idéologie en constitue le ciment. Le mensonge institutionnalisé et adapté à la défense des intérêts de la « société » est le garant de nos valeurs démocratiques et de notre cohésion en tant que groupe; que ce soit pour justifier l’intervention d’un État sur un autre afin de protéger les peuples ignorants les droits de l’homme, en passant par des licenciements massifs au nom du salut de l’économie ou la destruction de la planète au nom du profit du développement, notre monde a été construit sur cette prémisse toute simple : le mensonge.

Ainsi, dans notre imaginaire collectif, les mensonges liés à la nécessité de la consommation ont remplacé ceux du salut de l’âme, de la religion ou même de la patrie. L’énormité du mensonge qui a justifié l’invasion et l’occupation de l’Irak par les troupes humanitaires américaines constitue l’exemple le plus frappant.

À 20 ans, L.F Céline a été confronté au grand mensonge de son temps, 1914. À partir de là, il prend conscience de l’absurdité de la guerre et de l’importance du mensonge dans sa justification. Il comprend que le mensonge est le moteur par excellence du fonctionnement des institutions et, dans ce cas, la justification de l’envoi de millions d’hommes à la boucherie nationale.

Dans son livre, « Le testament de Céline » aux éditions de Fallois, Paul Yonnet souligne qu’on ne peut reprocher à un homme, qui a eu 20 ans en 1914, de manifester pour le reste de sa vie, un pacifisme absolu. Le jugement apparaît insuffisant, il ne fait qu’effleurer la réalité : on ne peut, également, reprocher à un tel homme une haine profonde envers les institutions et leurs représentants, qui lui ont menti effrontément. Aux responsables de l’hécatombe et à leurs complices (églises, médias, intellectuels, etc.) les statues, les honneurs et les postes, quant aux victimes, des rangées de petites croix blanches.

Si « Voyage au bout de la nuit » demeure un chef-d'œuvre littéraire aussi bouleversant, c’est qu’il est à la fois un cri et un acte de rébellion contre le mensonge. D’ailleurs, toute l’œuvre de Céline est un gigantesque miroir reflétant l’homme et l’organisation de ses mensonges. Céline les décortique et les met à nu dans une extase fabuleuse et mystique. Par la puissance de son écriture, il peint des images et des situations d’existences au-delà de l’imaginable. Le Bien s’élabore autour du mensonge et nous habite tous et il est impossible de le contrecarrer.

À cet égard, Céline est resté toute sa vie un être profondément « anarchiste » et solitaire, il ne s’est jamais lié à aucun modèle existant ou idéologie dominante. Les anarchistes ne peuvent supporter le mensonge et pensent qu’en détruisant les institutions, ils rendront à l’homme sa « virginité ». C’est noble, mais est-ce suffisant?

C’est alors, dans un délire de mots et d’imprécations, Céline s’est efforcé à identifier une sorte de responsable unique, un dénominateur commun au mensonge généralisé. Il n’a réussi qu’à chercher qu’à créer une vérité sur un nouveau mensonge et s’est rapidement aperçu que, même en anéantissant la démocratie, le communisme, le fascisme, comme on a détruit la monarchie et le pouvoir absolu de l’église, la lourdeur de l’homme restera ce qu’elle est et le mensonge, la justification du bien sur le mal.

Avec son échec, Céline est rapidement devenu paria, exilé, censuré, accusé de trahison et menacé d’exécution. Fusillé! Depuis la publication du « Voyage », que les élites cherchaient prétexte à l’abattre. Avec la fin de la guerre et la « libération », l’occasion est magnifique et les vainqueurs impitoyables dans leur vengeance. Jusqu’à vouloir effacer son génie de l’Histoire et de la littérature. Pourtant, les pamphlets sont tellement accessoires dans cette chasse au renégat, le subterfuge idéal pour se débarrasser définitivement du gênant. Pourtant, le génocide n’est que l’aboutissement prévisible de deux mille ans d’histoires et de pouvoir du catholicisme et de ses persécutions envers les ennemis du nouveau Dieu.

Ce qui est impardonnable, et là est son acte de trahison, c’est que la société ne peut accepter qu’on la mette ainsi à nue en l’attaquant ses fondements. Le mensonge, c’est la vérité tout comme, dans Orwell, « la liberté, c’est l’esclavage »

À l’unanimité, Louis-Ferdinand Céline fut déclaré coupable de trahison, spirituellement maudit et, son esprit, condamné à l’obscurité. Depuis, il porte sur ses épaules la lourde responsabilité du prophète qui erre telle une ombre au-dessus de nos certitudes.

Pierre Lalanne

2 commentaires:

  1. Bel article, puissant, fort, limpide, efficace, simple, d'attaque.

    Oui, belle chute de l'article sur la trahison de Céline, le mensonge est la vérité. Et que du coup on se mord la queue... mais peut-être le prophète est un type qui n'est pas adapté aux mensonges de sont époque, et plus que la vérité, c'est un nouveau mensonge, plus sympa à ses yeux, qu'il veut proposer. La vérité n'étant qu'une arme d'étape pour flinguer les mensonges insupportables, pour divers raisons.

    Et puis il y a peut-être aussi une esthétique du mensonge, et c'est peut-être pas tant le mensonge en lui même qui est attaqué que inaptitude à enchanter, à émerveiller, mais juste à répandre la laideur.

    Nous revenons aux grecs, le bon le beau le juste.

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